Camille Mondon
Le camée

À vingt ans, j'ai reçu le plus beau des cadeaux. C'était une broche. Elle faisait mon admiration et m'avait été promise. Lorsqu'elle n'était pas portée par ma mère sur le revers de son tailleur, la merveille était contenue dans un écrin rouge bien caché dans un tiroir de la commode. En récompense d'une bonne note ou d'un petit service rendu, j'étais autorisée à la toucher et à la contempler à loisir. C'était une sorte de tableau en miniature encadré d'or représentant en médaillon un char romain que tiraient deux lions conduits par un angelot une couronne de lauriers à la main. L'attelage était sculpté en relief sur un fond légèrement convexe à dominante rose. Le motif était blanc avec des tâches ocrées sur les parties saillantes de premier plan. Dans une attitude joyeuse et dynamique, le cocher semblait vouloir sortir du cadre, alors que les lions à la crinière bouclée se montraient plus réticents. J'étais fascinée par la scène et la matière douce et froide du médaillon. Lors du cadeau, j'ai su que c'était un camée d'Epoque Directoire, dont le sujet mythologique avait été sculpté en Italie dans un coquillage des mers du sud. La monture en or datait des années vingt. Sans en demander davantage, j'arborais fièrement la broche à toute occasion.

Le camée était dans mes bagages pour Panama. Dans ce nouvel exil, je n'imaginais pas trouver le coquillage à l'origine de mon bijou préféré. Le strombus costatus, car tel est son nom, vit dans les eaux chaudes de l'archipel des San Blas, un paradis de la mer des Caraïbes, composé de plus de trois cents îlots coralliens logeant la côte panaméenne. Le mollusque y prospère à l'abri d’une imposante coquille en forme de conque. Les femmes Cuna les pêchent à fleur d'eau dans le récif. Depuis longtemps elles en ont organisé le commerce. Les conques stockées dans les villages sont chargées deux fois par an sur le bateau de collecte et transportées jusqu'en Italie. Ce coquillage recherché a pour particularité de présenter des strates de couleurs contrastées, allant du brun au blanc, puis au rose, un camaïeu idéal pour être sculpté en bas-relief par les spécialistes. La vente de coquillages n'est cependant qu'une activité occasionnelle pour les habitants de l'archipel dont l'économie est basée sur la culture de la noix de coco. C'est une reconversion pour les Indiens Cuna, qui vivaient de subsistance dans la forêt avant d’êtres chassés par les conquérants espagnols et de trouver refuge dans les îles. Ils ont dû s’adapter à ce nouvel environnement, ont su conservé leur mode de vie traditionnel et un système social matriarcal. Le travail demeure communautaire et les coopératives sont gérées par les femmes. Leur rôle est primordial au sein de la famille et du groupe. En 1954, les San Blas ont obtenu du gouvernement panaméen le statut de "réserve". Il fut longtemps réclamé par les Cuna afin de préserver leur culture singulière et leur archipel fragile. Nul doute, la bonne gestion de la ressource en coquillages prisés par les sculpteurs de camées est assurée pour longtemps.

 

OCTOBRE 2011