Camille Mondon
Carte 14

Dans la vitrine de "CELINE coiffure mixte" est accroché un chef-d’œuvre :
L’ASIE PHYSIQUE par P. Vidal-LablacheEditions Armand Colin, Paris - Carte 14


C'est à Louhans, une petite ville de Saône et Loire, qu'une coiffeuse nostalgique de l'école ou amoureuse du continent asiatique a installé la carte 14 en guise de décor, donnant à ses clientes fidèles à la lecture du magazine Gala, l'occasion d’un beau sujet de conversation. De passage, je n'avais ni le temps d'un brushing ni celui d’une discussion. Je disposais seulement de quelques minutes pour méditer sur les noms évocateurs figurant sur la merveille. Ces noms étaient inscrits en lettres de différentes grosseurs selon l'importance donnée par l'auteur aux ensembles naturels indispensables à l'apprentissage de la géographie, une matière enseignée depuis plus d'un siècle dans les écoles françaises à l'initiative de Paul Vidal de La Blache (1845-1918), professeur émérite et inventeur pour le Ministère de l'Instruction Publique d'un nouveau type de matériau pédagogique, la carte murale de géographie. Quarante-cinq furent éditées en des milliers d'exemplaires dès l'année 1885 et rééditées jusqu'en 1966 pour le bonheur de plusieurs générations d'écoliers, et aujourd'hui pour celui des amateurs de vintage. De toute évidence, la carte numéro 14 de Céline est antérieure aux années cinquante, puisque le nom d'Indo-Chine y figure encore.

Le continent asiatique s'y développe largement entre l'Océan Glacial au nord, l'Océan Indien au sud et l'Océan Pacifique à l'est. Les noms sont imprimés en très gros italiques sur un fond bleu pâle uniforme. L’océan global couvrant 70% de la planète terre est ainsi clairement différencié par la couleur bleue de l’eau des étendues continentales qui elles ont trois couleurs.

Mts Himalayas, apposé en gros caractères, saute aux yeux sur un fond ocre foncé, la couleur réservée aux terres de plus de deux mille mètres d'altitude. La "demeure des neiges" n'est-elle pas le plus haut massif du monde avec quatorze sommets de plus de huit mille mètres ? Et le plus grand puisqu’il va d’est en ouest sur 2400 kilomètres ? Le maître devait expliquer que ces montagnes gigantesques s’étaient formées lorsque le continent indien insulaire avait rejoint l’Asie centrale dans un immense fracas.

Sur une vaste étendue verte traversée par le fleuve Léniseï, est indiquée en courbe et en gros la Plaine de Sibérie. Nul doute, ce territoire s'oppose à la montagne puisque le vert de la carte caractérise des terrains de basse altitude situés juste au-dessus du niveau des océans. C'est la plus vaste plaine de la planète, mais le milieu est si hostile et les hivers si froids qu'elle est en majeure partie inhabitée. Les villes et les agglomérations se situent toutes au sud sur les contreforts de l'Asie centrale. Seuls quelques groupes de nomades se déplacent en été dans la toundra abandonnée aujourd'hui aux compagnies minières en charge de l'extraction des richesses du sous-sol russe.

Le Yang-Tsé-Kiang, dont le nom en zigzag suit le tracé du fleuve, est un troisième ensemble géographique écrit en caractères gras. Le "long fleuve", dans sa traduction littérale, portait autrefois le nom de fleuve bleu. C'était bien avant la surpopulation de ses rives, la construction des barrages et les eaux boueuses. Prenant sa source au Tibet, il court sur près de sept mille kilomètres avant d'arriver à Shanghai et de se déverser dans la mer de Chine. Le monstre serpente à travers huit provinces chinoises, reçoit sept cents affluents, charrie des masses d'eau colossales, draine près de deux millions de kilomètres carrés, alimente la moitié du pays. Il n'y a pas de meilleur exemple que le Yang-Tsé-Kiang pour enseigner un fleuve en cours de géographie.

Le désert de Gobi est un autre univers. Son nom se lit aisément au centre de la carte. Dans cette immensité aride et pierreuse où l'amplitude thermique est extrême, les populations nomades occupent l'espace avec leurs troupeaux et leurs yourtes. Les routes de la soie reliant l’Orient et l’Occident traversaient jadis ce territoire hostile et les marchés situés aux portes du désert étaient des espaces d'échanges commerciaux et culturels extraordinaires. Le mythe des marchands des steppes perdure à l’évocation de Kaschgar ou Samarkand.

Sur le sous-continent indien sont écrits en petites caractères gras les noms Hindoustan et Décan. Le premier semble désigner la plaine du Gange habitée par des Hindous, ou peut-être le nord de l'Inde. Tandis que Décan désigne, soit un plateau central ou le sud de la péninsule indienne. Comme il s'agit d'une carte de géographie physique, je pencherais davantage pour la plaine gangétique et le plateau du Deccan, car le plateau n'est-il pas un nouvel ensemble naturel à découvrir ?

Mer de Chine, Détroit de Malacca, Golfe du Bengale, Golfe d'Oman en bleu, Arabie, Caucase, Tibet, Altaï en ocre jaune… Pour les écoliers, c’était un travail de mémoriser tous ces noms exotiques, mais peut-être aussi, une occasion de rêver. Pour moi, ils invitent aux voyages et sont davantage des itinéraires, des envies de découvertes ou des souvenirs. La poésie de la carte de géographie de P. Vidal-Lablache reste intacte.

 

NOVEMBRE 2011