Camille Mondon
Les chevaux d'Ayyanar

 

Dispersés dans la campagne indienne du Tamil Nadu et toujours un peu à l'écart des villages, des chevaux blancs gigantesques harnachés et parés de couleurs vives étonnent le voyageur. Lorsqu’il a la chance de les découvrir au détour d'un chemin cachés derrière les arbres, c'est un émerveillement. Ils célèbrent le culte très ancien du Dieu Ayyanar.  Dieu local à l'aspect féroce, il est vénéré par les populations villageoises. Ayyanar n'appartient pas au panthéon hindou bien que né de l'union des dieux Shiva et Vishnou. Son rôle est de protéger les villageois des mauvais esprits, des inondations et des sécheresses qui menacent les communautés agricoles. Pendant la nuit, monté sur son cheval blanc, armé d'une épée et d'une lance, suivi de Karuppan son lieutenant et d'un cortège de vingt-et-une divinités, Ayyanar galope dans les villages pour en chasser les esprits malfaisants. A l'aube, il regagne son sanctuaire dans le "bois sacré", un espace préservé depuis la nuit des temps sur la terre des ancêtres. Gardien de la mare ou du réservoir, il est essentiel à la survie du village.

Les chevaux blancs d'Ayyanar sont entourés de gardes et accompagnés d'éléphants et de vaches. Sur les autels du sanctuaire, Ayyanar, son lieutenant et les autres divinités attendent paisiblement les offrandes quotidiennes et les cérémonies qui réuniront toute la population du village lors d'événements annuels liés au calendrier agricole. Ce sont des occasions de fêtes et de danses, de chants et de prières conduites, non par un prêtre brahmane, mais par un prêtre-potier de la caste des Velars. Des fleurs et de la nourriture sont déposées devant les statues votives, des lampes sont allumées et des bâtons d'encens brûlés. Le culte d'Ayyanar, lié à celui de la "Terre-mère", est très vivace dans le pays tamoul. 

Si aujourd'hui les chevaux et éléphants sont réalisés en béton solide peint dans un style naïf et coloré, autrefois sous la direction du prêtre-potier ils étaient fabriqués sur place en terre cuite dans l'enceinte du sanctuaire par des artisans. Pour réaliser une grande statue, parfois de six mètres de haut, il fallait plusieurs semaines de travail rémunéré par les villageois. Ainsi, les tailles des chevaux pouvaient varier selon les moyens de la communauté.  Aujourd'hui comme hier on remplace un cheval détérioré en une offrande collective. De nombreux spécimens d'anciennes terres cuites dégradées par le temps sont laissés dans les sanctuaires et regroupés un peu à l'écart.  Ces cimetières d'animaux endommagés révèlent des splendeurs au modelé raffiné et suscitent l'émotion. Les statues de terre s'effritent, fondent lentement sous les pluies de la mousson et retournent peu à peu à la terre. Elles participent ainsi au cycle de la vie.  

Chez les Tharu de Dang au Sud du Népal, des petits chevaux de terre cuite réalisés par les potiers de la caste des Kumar sont  des offrandes présentes sur tous les autels familiaux. D'après mes sources, ils symbolisent la monture du dieu mythique Jagannathya, un autre dieu local lié à la terre nourricière, au territoire tribal, aux ancêtres. Les "bois sacrés" habités de divinités tutélaires existent aussi à l'écart des villages. La similitude est troublante.


En savoir plus

* http://archeologue.over-blog.com/article-23391596.html
* http://archeologue.over-blog.com/article-autres-maitres-de-l-inde-yyanar-statues-votives-au-quai-branly-54441204.html



OCTOBRE 2011