Camille Mondon
Curry, kari ou masala

Curry

 

Sur la côte de Malabar baignée par la mer d'Oman au sud-ouest de la péninsule indienne, j'ai apprécié la saveur si particulière du kariveppilai, une petite feuille verte au parfum tenace et légèrement citronné qui s'ajoute en quantité à tous les plats délicieusement épicés de la cuisine kéralaise. À l’égal de notre laurier sauce, la feuille de curry ne se mange pas et se contente de donner un goût incomparable aux légumes, viandes ou  poissons.  Elle provient d'un arbuste, le  Murraya koenigii, que l’on trouve à l’état sauvage ou cultivé dans le sud de l'Inde. Les branches fraîches aux feuilles luisantes s'achètent au marché par petits bouquets. Avant d’être incorporé aux préparations, le kariveppilai est froissé entre les doigts afin que les arômes se diffusent généreusement dans les plats. Dans d'autres régions situées plus au nord, les feuilles séchées sont broyées pour entrer dans la composition des masala; un terme hindi qui signifie “mélange”. Par extension, sur tout le continent indien, on donne le nom de masala à l'ensemble des préparations épicées additionnées de piments et liées en sauce par de l'eau, du yaourt ou du lait de coco.  Les épices sont torréfiées pour en rehausser le goût, puis réduites en poudre avant d’être incorporées aux aliments lors de la cuisson. Que les masala intègrent ou non la feuille parfumée, ils sont innombrables, prennent des noms locaux en fonction des ingrédients qui les composent et varient à l'infini selon les régions, les populations, les familles ou les cuisiniers. Chacun a sa propre recette. Le nom de "curry", donné par les Anglais à cette spécialité indienne à l'époque des comptoirs coloniaux, n'est pas reconnu par les autochtones et ne figure sur aucune carte de restaurant. Pourtant, ce nom est issu du mot tamoul kariveppilai (composé de kari = sauce et de ilai = feuille), donc, littéralement « feuille à sauce ». Ainsi, kari prononcé à l’anglaise est devenu curry. L’appellation s’est répandue un peu partout dans le monde s’attachant indifféremment à une mixture d'épices en poudre ou en pâte, ou bien à un plat composé dont le goût est souvent très éloigné des goûts originels. La currywurst allemande n’en est qu’une illustration parmi d’autres. C’est à la Réunion que la préparation semble la plus proche de cette tradition culinaire de l’Inde du Sud.  Importé au début du XIXe siècle sur l'île par les indiens de Malabar, le kariveppilai prend en langue créole le nom de caloupilé, et le plat épicé, qui intègre obligatoirement la feuille à sauce, est appelé massalé.  Curry, kari, masala ou massalé, cette préparation savoureuse et relevée, s'accompagne invariablement de riz blanc, et en Inde plus qu’ailleurs, d'une sauce à base de lentilles.

 

  

OCTOBRE 2011