Camille Mondon
Le magicien


 

Le soleil déclinait sur Venise et j'étais éreintée par les visites du jour de la Biennale d'Art 2011. En regagnant la pension Seguso par le quai de Zattere, je me suis arrêtée. Dans la nef étroite d'un entrepôt maritime aux murs de brique, une exposition réunissait vingt-deux artistes arabes sous le titre: "The futur of a promise". L'oeil saturé, j'ai survolé les oeuvres, puis me suis assise épuisée sur un banc face à une vidéo un casque sur les oreilles. Sur l'écran, un personnage maigrelet coiffé d'un turban noir agrémenté d'une plume rouge s'agitait devant un rideau de scène gris et froissé. Il s'exprimait en mixant arabe et français avec un humour attendrissant. Je suis entrée dans le spectacle d'une petite série de tours de magie exécutés avec pour seul accessoire, une table légère dont le magicien jouait de l'instabilité en diverses maladresses. La situation était précaire et dérisoire, les tours irrésistibles. J'ai ri lorsqu'il a couché son coq sur le dos ou fait sortir de sa bouche une dizaine de balles de ping-pong. J'ai souffert à la vision des lames de rasoir avalées. Son regard naïf et malicieux, sa voix chantante, ses mains fines et habiles, ses attitudes et ses préliminaires m'ont profondément émue et ravie à la fois. Sans doute autant que l'artiste qui a filmé ce magicien de rue. L’oeuvre est tendre et incontestablement forte. Je suis revenue le lendemain. J'ai revu le magicien et noté le nom de l'artiste qui m'était inconnu. J’ai regardé avec délectation les autres propositions que j’avais aperçu la veille. Originaires du Liban, de Syrie, de Turquie, d’Arabie Saoudite… les artistes sélectionnés pour cet accrochage, ont pour la plupart étudié dans un autre pays et vivent aujourd'hui là ou ailleurs. La mixité culturelle est totale et les diverses promesses pour un futur à inventer avec la liberté récemment acquise ne manquent pas d’intérêt. La mine réjouie, j'ai félicité la jeune femme en charge de l’exposition. Elle a acquiessé dans un large sourire.

Yto Barrada, c'est le nom que j'ai noté sur mon carnet. "Le magicien" date de 2003. C'est une oeuvre parmi les centaines de cette photographe plasticienne franco-marocaine née à Paris en 1971 et directrice de la cinémathèque de Tanger. Un travail militant qui navigue entre les réalités du monde arabe, les attentes et les rêves. Son panégyrique est impressionnant. Consacrée "Artiste de l'année 2011" par la Deutsche Bank, elle semble connue de tous les musées du monde et j'aurais pu la rencontrer au Palazzo Grassi ou ailleurs à la Biennale dans des oeuvres plus spectaculaires et plus récentes. Mais je l'ai ignorée en passant trop vite, et seule cette vidéo mettant en scène Abdelouahid El Hamri, aka Simbad of the Straits, dont "les mains vont plus vite que les yeux des spectateurs" m'a touchée. "L'art ne s'explique pas, il se regarde", dit Rudi Fuchs mon conservateur préféré.



The Future of a promise : http://www.thefutureofapromise.com/index.php/artists/statement/yto_barrada

 

NOVEMBRE 2011