Camille Mondon
Le routier

Le routier


Le Mistral souffle dans la direction du retour des vacances. Le ciel est bleu marine. Il est midi. Un panneau banal sur le bas-côté de la route indique « Restaurant Routier ». Des camions alignés et quelques places restent vides sur le parking, tout semble parfait pour une pause déjeuner. Une flèche apposée sur la façade de l'établissement désigne une entrée bien cachée sur le côté du bâtiment. La salle est vaste et lumineuse, des rideaux aux couleurs de la Provence retenus par des embrases, des tables rectangulaires de couleur bleue, des chaises style Thonnet en métal noir, un sol carrelé de dalles à l'ancienne, l'univers du Routier est propret.  Pas d'odeur de plats mitonnés, mais sur chaque table des sets en papier blanc éco, des couverts bien alignés, sel et poivre, moutarde en bouteille de plastique, tubes de ketchup plantés dans un verre, l'ensemble disposé à merveille invite à prendre place.  Mais où ? J'hésite à m'asseoir à l'une des tables pour quatre convives dressées de deux couverts seulement se faisant face sur un côté de la table ou s'opposant en diagonale. Peu de clients ce jour-là, je m'assois au hasard.  Alors que je m'interroge sur cette curieuse disposition des couverts, une hôtesse avenante vient prendre ma commande. Pas de choix, le menu figurant sur un tableau noir près du bar est imposé à tous. Je donne mon accord. Lorsqu’elle pose le ticket  "menu du jour" sur ma table, je m'avise de lui demander la raison de l'étonnante disposition des couverts. Dans un grand sourire, j'obtiens une réponse aussi claire que précise :  les couverts qui se font face sont pour les couples ou les amis, ceux qui s'opposent sont pour les solitaires. Il fallait comprendre que certains chauffeurs voulaient déjeuner en paix sans être mis dans l’obligation d’échanger avec le voisin d’en face. Les jours d’affluence, je suppose qu'il peut y avoir des tables de quatre amis ou de quatre solitaires. Dans ce cas, l'hôtesse rajoutera les couverts manquants. Pour les groupes,  les tables sont accolées à la demande, comme c’est le cas lors de l'arrivée d'un groupe d’ouvriers travaillant sur un chantier proche. Je suis frappée par le fait que chacun, seul ou à plusieurs, mange dans le plus grand silence. Seulement un léger brouhaha monte du bar où plusieurs tabourets inconfortables accueillent quelques minutes les chauffeurs de passage. Avec vue sur le parking des camions et sous le plafond en dalles acoustiques, en une demi-heure le menu du jour avec terrine de légumes, poulet basquais, fromage blanc et dessert, est servi dans des petits plats, dégustés et payés 11 euros 90, plus 2 euros pour le quart de vin rouge. Un prix de rêve pour un très bon repas, surtout lorsqu'on rentre de Megève où les additions s'envolent. Mon cigarillo fumé sur la terrasse en regardant le ciel bleu avant de reprendre la route est délicieux. Quelle bonne étape !

 

OCTOBRE 2011