Camille Mondon
Santo Niño

Au coeur des Philippines, dans la basilique de Cebu City, j'ai rencontré Santo Niño, une icône insolite vénérée par tout un peuple. Elle représente un Jésus enfant dressé sur un socle et placé au centre d'une large boîte de verre qui le protège du flot continuel des fidèles et des dévotions. Il a un visage cuivré encadré de boucles brunes, la tête coiffée d'une haute couronne d'or, le corps richement habillé de brocard de soie. Il porte l'orbe et le sceptre des rois. Cette image haute d'une trentaine de centimètres, aurait été réalisée par des artistes flamands, puis emportée sur le navire de Magellan en quête d'une voie maritime vers les Indes pour Charles II le roi des Espagnes (le futur empereur Charles Quint). L'explorateur portugais échoua son bateau dans l'archipel des Visayas au printemps 1521. Selon l'histoire rapportée, il fut accueilli en ami par le Rajah Humabon de l'île de Cebu et obtint rapidement l'allégeance du monarque à la puissante Espagne catholique romaine. On retiendra qu'à l'occasion de la conversion du roi et de sa femme, baptisés Carlos et Juana, il offrit à cette dernière l'image de Santo Niño. Ferdinand Magellan fut tué le mois suivant dans un combat contre Lapu-Lapu le chef tribal de Mactan, un îlot proche de Cebu. Son corps ne fut jamais retrouvé. Il ne vit pas l'arrivée des armées espagnoles envoyées quelques années plus tard par le roi Philippe II qui avait succédé à son père en poursuivant dans le sang la colonisation des terres lointaines au nom de L'Eglise. Lors de la conquête des îles, les populations rebelles et les autorités locales furent massacrées, le roi Carlos de Cebu tué, sa ville incendiée avant de devenir la capitale des "Indes espagnoles de l'est”. Dans les décombres, l'image de Santo Niño fut retrouvée intacte. Un miracle. En 1565, à l'endroit de la découverte, la basilique de Minore del Santo Niño fut édifiée pour abriter l'image miraculée et bénie. A cette date, le nom de Philippines fut donné, en hommage à Philippe II d'Espagne, à l'ensemble de l'archipel colonisé.

Pour une majorité de Philippins, l'icône sacrée est le symbole de la chrétienté, de l'unification du pays et des conversions du peuple à la foi catholique romaine. Pour nombre de tribus attachées à des pratiques animistes, elle est l'idole que l'on implore pour une aide dans les moments difficiles. Pour tous, elle fait partie intégrante de l'histoire et de la culture des Philippines. Afin que les populations d'un archipel comptant plus de sept mille îles puissent l'approcher sans avoir à se déplacer jusqu'à Cebu, Santo Niño va vers les fidèles et voyage d'île en île. Une grande peinture aperçue dans le cloître de la basilique en atteste. Signée J. Gonzalve, elle représente l’icône portée par l'évêque de Cebu sur la passerelle de l'avion de Philippine Airlines avant l'envol. On peut y lire la mention suivante : "A l'occasion de la célébration de quatre siècles de la christianisation des Philippines, l'image de Santo Niño a fait un pèlerinage à travers tout l'archipel du 14 Février au 14 Avril 1965". Une autre peinture de L. Roterro légendée et datée de 1984 témoigne du "Pèlerinage de Santo Niño de Cebu dans l'île de Luzon, illustrant le circuit effectué dans la ville de Manille". Ce convoi de voitures américaines portant en pèlerinage l'image du saint, rappelle que l'archipel philippin fut cédé aux Etats-Unis en 1898 par le royaume d'Espagne pour vingt millions de dollars et placé sous contrôle américain pendant cinquante ans. L'indépendance des Philippines fut proclamée en Juillet 1946 après une sombre période de trois années d'occupation japonaise de 1942 à 1945.

Sur le lieu de la bataille de Maclan, à côté de la croix de Magellan dressée en 1866 à l'endroit supposé de sa mort, se trouve un monument à la gloire de Lapu-Lapu, le chef qui mena ses hommes à la victoire contre l'envahisseur. C’est un symbole fort de la résistance des populations insulaires. Peu rancuniers et attachés à leur histoire, les Philippins ont conservé le nom donné au pays par les colons espagnols, et Santo Niño est considéré comme le "Saint Patron" des Philippines. Sa fête est célébrée chaque année en janvier après l'Epiphanie. Pendant neuf jours, festivités et dévotions conduites dans une ferveur intense et exubérante, réunissent des foules immenses dans les villes de l'archipel et des millions de personnes à Manille. C'est le "Regal".