Leïla Sebbar, Mon cher fils,  Elyzad, 2008.


 

 

Un vieil homme, ouvrier chez Renault, revient vivre à Alger après trente ans passés dans l'usine-forteresse de Boulogne-Billancourt, l'île Seguin. Il vit seul, dans une petite maison aux volets verts, face à la mer. Il a eu sept filles et un fils dont il est sans nouvelles depuis longtemps et à qui il n'a jamais réussi à parler. Avec la complicité de la jeune Alma, écrivain public à la Grande Poste, il lui écrit, il tente de lui écrire.

Un roman sur les silences de l'histoire, du roman familial dans l'exil, le silence qui sépare un père de son fils.

ISBN : 978-9973-58-015-3

 


 

Passages de Mon cher fils

 

pp. 38-39

Alma écoute le vieil homme. S'il n'écrit pas à son fils, elle ne le verra plus.

Elle dit "On écrit?" "Ecrivez ce que vous voulez après 'Mon cher fils', oui, écrivez, j'enverrai les lettres comme d'habitude.

Elle écrit. Il ne lui demande pas ce qu'elle écrit. Il dit "Vous savez les tirailleurs... Je peux vous parler? Cette histoire de tirailleurs, ça ne vous ennuie pas? Vous êtes jeunes, les jeunes... Enfin, je dis "les jeunes" mais je ne les connais pas, jamais je n'ai parlé à mes enfants, pourquoi? Je ne sais pas. Peut-être parce qu'ils ne m'auraient pas écrouté, des vieilles histoires pour les vieux, même la guerre d'Algérie, j'ai rien dit, pourtant... non, je ne veux pas parler de cette guerre, une autre fois. C'est comme l'arabe, ils ne veulent pas, ma fille aînée, celle qui est née au pays, la seule qui parle la langue des ancêtres, avec sa mère, avec moi non, pourquoi?


p. 122

Alma pense au fils du chibani. Ce monologue, comme une leçon du fils au père. Ces mots qui blessent, la violence de la parole, un flux irrésistible, ressentiment, révolte contre les siens et les autres, la fausse compassion, ce fils qu'elle ne verra pas, elle le voit debout face au père plus grand que lui, la colère de ses yeux bleu-violet, la patience du père, il ne baisse pas les yeux mais le regard écoute le fils sans le regarder. A cette minute où elle imagine le père et son fils luttant contre le silence, elle pense que le fils n'écrira pas à son père parce qu'il vit dans un monde inaccessible au père.

 


Actualisation : décembre 2008