Leïla Sebbar, Voyage en Algéries autour de ma chambre, Abécédaire, Bleu autour,  2008.


Un abécédaire intime et politique : ABEILLE AFLOU AMBOISE BORDEL COLON CONQUÊTE HEIDI INSTITUTEUR LIBRAIRIE MARABOUT PEUGEOT PORT-SAY SHÉRAZADE SINGER TATI TÉNÈS… Une perception singulière de la colonisation et du couple Algérie-France.

Un abécédaire autobiographique et collectif, avec les textes manuscrits des compagnes et compagnons de Leïla Sebbar sur ses routes algériennes.

Un abécédaire érudit, léger, ironique et grave, pointilliste, excentrique… La fabrique, par le texte et l’image, d’une tribu mythologique d’Orient en Occident.

ISBN : 978-2-9120-1989-9

 


 

Prologue

Après Mes Algéries en France (carnet de voyages, préface de Michelle Perrot) et Journal de mes Algéries en France, voici Voyage en Algéries autour de ma chambre. Une sorte d'archéologie de mes fictions.

Toujours ce désir de savoir, deviner, supposer, soupçonner, voir et donner à voir, entendre et sentir. Chercher, rechercher sans méthode ni système, portée par le caprice et le hasard du voyage immobile, de la rencontre imprévue, du messager inconnu, du livre introuvable... Tout ce qui ne m'a pas été transmis de l'Algérie algérienne, des Algéries depuis la conquête - Algérie française et coloniale, Algérie républicaine et coloniale - jusqu'à la voix des cités au pays natal et dans l'exil. Tout ce que je découvre, objets, livres, papiers, effigies de bêtes, faune et flore. Tous ceux et celles que je rencontre au gré de ma traque, dans les pages des livres oubliés (romans coloniaux, livres pour la jeunesse), les dessins, les tableaux et les images d'archives (plans, croquis, esquisses, aquarelles), les photographies d'album de famille. Tous ceux qui, en France, depuis plus d'un siècle et demi, ont tissé un lien affectif avec l'Algérie, et ils sont nombreux. Tout ce que je croise dans la vie même.

Et les compagnes et compagnons de mes routes algériennes. Tous ceux-là qui habitent ma chambre de France colonisée par mes Algéries et un Orient imaginaire, dans le désordre affectif de l'ordre alphabétique arbitraire que j'impose, je les entends, je les regarde, je leur parle, je les aime et je ne les aime pas. Ce n'est pas la collection savante et rationnelle qui me touche mais les variations du motif, à l'infini, comme ce motif que des femmes illettrées inventent et lisent, autant de signes sacrés entre terre et ciel : tatouage, tapisserie, poterie, peinture murale. De la maison natale à la maison d'exil. Sans nostalgie.

Ainsi, je fabrique, par le jeu prosaïque et lettré des échos, associations baroques, correspondances insolites (couleur, regard, son, odeur, gestes), un grand corps vivant de l'Orient (Algérie métaphore de l'Orient) à l'Occident (France métaphore de l'Occident), une tribu inédite, énigmatique, mythologique, un chant choral qui accompagne mon père. Il n'est pas seul dans la terre étrangère. C'est comme s'il entendait la mer depuis le cimetière marin du vieux Ténès où il ne repose pas.

Leïla Sebbar

 


Actualisation : décembre 2008