Leïla Sebbar, Emma Belhaj Yahia, Maïssa Bey, Rajae Benchemsi, Cécile Oumhani. À cinq mains, Elyzad, 2007.

 

Passages

Leïla Sebbar : La main sauvage, pp. 13-14.

Chaque matin à l'aube, les frères, les soeurs, les cousines dorment encore, on la voit courir vers la colline la plus haute, la montagne proche lui fait peur, elle n'a pas essayé, les chacals, les hyènes, elle les entend depuis la maison contre les oliviers, protégée par les figuiers de Barbarie plus grands qu'elle, elle court pour atteindre le sommet de la colline avec le soleil, c'est si beau, debout elle regarde la mer, une minute trente-cinq, elle a compté, pas une seconde de plus et elle dévale la pente, les cailloux ne lui font pas mal, jusqu'à la haie épineuse, derrière c'est la maison endormie, sauf le plus petit, elle l'entend crier, il a faim.


Emma Belhaj Yahia : Une fenêtre qui s'ouvre, pp. 35-36.

Dès que j'étais dérangée, perturbée ou effrayée par un mot ou un regard qu'on venait de me jeter, j'avais aussitôt un ou deux ongles qui attendaient dans l'ombre pour les coincer, ces pauvres mains, les pincer, les pétrir et leur infliger une tension, voire une douleur telle qu'aucun trouble, aucune émotion ne pouvaient se lire sur mon visage. Mes mains, l'une par l'autre, l'une dans l'autre réunies, prenaient sur elles, dans leur chair et dans leur sang, la peine de mon âme, afin de la faire sortir indemne de ce combat feutré et titanesque que se livrent les hommes.


Maïssa Bey : Un jour à traverser, p. 54.

Le temps venu, on t'a mariée. Tu n'avais pas seize ans. Tu as tout simplement changé de maison.
Tu étais maintenant l'épouse d'un fils. Au service d'une autre famille que tu devais considérer comme la tienne.
C'était un inconnu, bien sûr. Au bout d'un jour de fête, un seul, une nouvelle vie. La découverte de l'autre. Du corps de l'autre. Avec la peur. Les silences. Et enfin l'habitude. Les habitudes.


Rajae Benchemsi : Les sentiers de la main, p. 87.

La douceur et le velouté de sa main1 me plongèrent dans un état d'aimance indescriptible. Les astres, les étoiles et tout l'univers, gisaient là, en ma compagnie, pour célébrer avec moi cette grâce de Dieu. Cette main portait en elle l'odeur des prémisses d'une sensation d'éternité.

1 : Il s'agit de la main d'un guide spirituel.


Cécile Oumhani : La vie à mains nues, pp. 105-106.

L'eau de source chaude court sur ses mains et inonde sa rêverie... Blanches et légères, elles flottent au-dessus de la pierre verdie par le soufre. Les femmes papotent de tous les côtés et elle ne les entend pas, bercée par le chuchotement de ce qui sourd du flanc de la montagne et du fond d'elle-même. Le monde est resté intact dans son souvenir. Le passé afflue vers ces mains qui l'ont fait. Elles se gorgent de l'onde ruisselante où se disperce le reflet de son visage...

 

Actualisation : juillet 2007