Leïla Sebbar. La Jeune fille au balcon, Seuil, 1996.

"La jeune fille au balcon", pp. 49-51.

Une fois par mois, si le travail de couture laisse un peu de temps, les voisines se rencontrent autour d’un casque de coiffure.  Les islamistes ont interdit les salons de coiffure pour femmes, il a fallu les fermer.  Une amie coiffeuse a transféré ses casques dans son appartement et les a distribués.  Elle va chez les unes, chez les autres, on vient dans son salon privé à domicile, c’est ainsi qu’elle est encore coiffeuse et qu’elle nourrit la famille.  Coupe, couleur, permanente…  Les femmes n’ont pas renoncé à être des femmes.  Les cosmétiques, interdits.  Le maquillage, interdit…  Les cheveux doivent être longs, les visages blêmes, les peaux boutonneuses…  La fête, interdite… Plus de musique, ni de bijoux aux mariages…  Une femme raconte que les musiciennes ont été chassées d’une maison où elles avaient été invitées pour la noce de deux soeurs jumelles qui se mariaient le même jour :

- Chassées, comme des voleuses…  Et ma tante, une musicienne qui a fait le maquis avec d’autres musiciennes, qu’est-ce qu’elle aurait dit?  Au maquis, pendant la guerre on n’a pas dit non aux musiciennes, deux sont mortes pour le pays…  Et aujourd’hui ils chassent les artistes comme si c’étaient des femmes de mauvaise vie…

Celles qui ne sont pas immobilisées sous le casque ou par la Singer dansent sur le tapis du salon.  Elles apprennent les gestes aux petites filles, la danse orientale avec le foulard sur les reins, les danses algériennes, algéroises, kabyles…

- Attention, crie une femme, un commando de 404 bâchées1

Les femmes cessent de danser, se penchent aux fenêtres.  Des militantes islamistes entre dans l’immeuble.

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1. 404 bâchées : Les Algériens appellent ainsi les soeurs musulmanes couvertes de la tête aux pieds comme les fourgonnettes Peugeot 404 avec bâche.

Actualisation : juillet 2007