Val-Nord, fragments de banlieue, nouvelles de Leïla Sebbar, photographies de Gilles Larvor, Au nom de la mémoire, 1984 (Editions Thierry Magnier, 2005).

L'album de photographies de Gilles Larbor dénoncent l'exil et la vacuité, les trois nouvelles de Leïla Sebbar dont voici des extraits, assurent un devoir de mémoire.

La vieille de la montagne, p. 15

Dans ce pays (la France), elle a sa chambre.  Mais ce pays n’est pas son pays.  Chaque jour, elle dit à sa fille aînée qu’elle ne restera pas dans sa chambre, même si c’est la maison de son arrière-petite-fille, sa préférée, la belle et douce Nedjma.  Sa fille lui répète : C’est la guerre, là-bas, tu le sais.  Tu veux mourir sous les balles ?

- Je veux vivre encore un peu et mourir dans la maison de mon père, au village de la montagne où sont enterrés mes deux petits, mes tout petits.

La robe de la mariée, p. 83

Il disait des versets du Coran l’été, sous la treille devant la porte de la maison verte, elle, à côté du vieil homme le soir après le travail des champs.  Jour après jour, elle a entendu la parole divine dans la langue sacrée, inconnue, la langue du grand-père, les soirs d’été, et lui non plus ne connaissait pas le sens, seulement la voix de la langue, si belle.  Il ne regardait pas le Livre, les versets lui arrivaient comme la brise, légers, après un long jour de soleil et de travail d’homme.  Elle écoutait.  Il ne lui a pas dit : “Viens là, près de moi…”  Elle est venue, elle s’est assise, elle écoute.  Lorsqu’il fait nuit le grand-père se lève, il prend la main de l’enfant et ils entrent dans la maison où sont les femmes.

La chambre du fils, p. 115

Dans la chambre du fils, le calendrier.  Il a laissé sa radiocassette sur la table, près de son lit, son paquet de Marlboro avec sept cigarettes, elle les a comptées, des cassettes, elle ne les a pas écoutées, des enveloppes par avion, vides.  La mère n’a touché à rien.  Sami reviendra.  L’ordre de sa chambre, c’est l’ordre de son fils.

Les gants de boxe rouges sur l’étagère en face du lit au-dessous des livres, ses livres, elle les déplace pour la poussière.  Une fois, elle les a essayés, elle s’est mise à rire, ses mains si petites, ces gants rouges au bout des bras, elle fait le geste de boxer, le gant est tombé sur la moquette sans bruit, il a rebondi comme un ballon de mousse.

Actualisation : juillet 2007