Brigitte LANE
Romance Languages
Tufts University (USA)

Leïla Sebbar, Mon cher fils.
Elyzad, 2008


À travers un texte très tendre, Leïla Sebbar, faisant usage de son habituelle technique de « récits-gigogne », nous introduit à la vie de trois personnages principaux, tous en manque d’un être cher : le vieil homme (chibani) qui est sans nom et domine le livre, prenant une valeur universelle; Alma, la jeune fille éduquée qui joue le rôle d’écrivain public et dont le père est joueur de luth. Enfin, Minna, leur servante, qui n’a eu ni éducation ni vie familiale mais sert en quelque sorte de mère-substitut  à Alma.

Le chibani, l’homme en bleu et aux yeux bleu sombre, représente tous ceux qui sont rentrés au pays après des années d’exil en France. Lui, a travaillé pendant des années aux usines Renault de l’île Seguin avant de revenir à Alger, où il habite une petite maison aux volets verts, au bord de la Méditerranée. Analphabète, il est profondément désireux de renouer avec son fils fugueur pour créer avec lui un dialogue qui n’a jamais eu lieu. Il tente à travers Alma, d’écrire à son fils une lettre où il lui dirait tout ce qu’il a voulu lui dire mais ne lui a jamais dit. Une telle lettre sera-t-elle jamais écrite? Peut-elle même être écrite ? Le fils est parti à l’étranger, on ne sait trop où, ce qui crée un élément du suspense sur lequel repose ce touchant et bref roman. Alma, quant à elle, attend que sa mère revienne de Bretagne où celle-ci semble s’être rendue pour une raison qui nous reste inconnue.
Roman kaléidoscopique, Mon cher fils raconte plein d’histoires: des histoires, d’amour et d’amitié mais aussi de blessures, d’abandons et d’inégalités, ces dernières dûes à la persistance des traditions dans les sociétés arabes. Roman féministe, le livre met aussi à jour les nombreux stéréotypes qui marquent la vie des filles souvent moins valorisées dans les familles maghrébines que les garçons. L’ouvrage a donc aussi un but pédagogique et insiste sur l’impérative nécessité de l’éducation des filles.

Il parle également de quête des origines, d’identité, de recherche du bonheur et n’est pas sans nous rappeler, par certains côtés, le beau film de Mehdi Charef, La Fille de
Kheltoum (2001) rendant tout comme Sebbar hommage au Nedjma de Kateb Yacine.

Quête/enquête, tout comme dans Le Chinois vert d’Afrique (1984), le récit repose sur ces deux termes. Sebbar revient, comme toujours, aux grands thèmes fondateurs de son oeuvre et de la « littérature de l’exil »: la langue, le corps, la terre. D’ailleurs, où est le fils du chibani ? Ce sera le mot de la fin, conséquence d’un croisement positif qui ne s’est pas fait.

Quant au contexte historique : la période du colonialisme, la guerre d’Algérie, les ratonnades parisiennes de 1961 et Mai 68 sont tour à tour évoqués.

Sebbar a par ailleurs le rare mérite de montrer la diversité des cultures maghrébines au public occidental qui la lira.

 

Actualisation : octobre 2013