L'Ecole des femmes
Acte III



Scène 5: ARNOLPHE, seul.

Comme il faut devant lui que je me mortifie!
Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant!
Quoi! pour une innocente un esprit si présent!
Elle a feint d'être telle à mes yeux, la traîtresse,
Ou le diable à son âme a soufflé cette adresse.
Enfin, me voilà mort par ce funeste écrit.
Je vois qu'il a, le traître, embaumé son esprit,
Qu'à ma suppression il s'est ancré chez elle;
Et c'est mon désespoir et ma peine mortelle.
Je souffre doublement dans le vol de son coeur;
Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur.
J'enrage de trouver cette place usurpée,
Et j'enrage de voir ma prudence trompée.
Je sais que, pour punir son amour libertin,
Je n'ai qu'à laisser faire à son mauvais destin,
Que je serai vengé d'elle par elle-même:
Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu'on aime.
Ciel! puisque pour un choix j'ai tant philosophé,
Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé?
Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse;
Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse:
Et cependant je l'aime, après ce lâche tour,
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cette amour
Sot, n'as-tu point de honte? Ah! je crève, j'enrage.
Et je souffletterais mille fois mon visage!
Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir
Quelle est sa contenance après un trait si noir
Ciel! faites que mon front soit exempt de disgrâce;
Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que j'y passe,
Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents,
La constance qu'on voit à de certaines gens!



Acte IV, Scène 1 / Introduction à l'Ecole des femmes
Le Malade imaginaire - Le Bourgeois gentilhomme (extrait)
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5 juin 1996
cnetter1@swarthmore.edu