Le Malade imaginaire
Acte I


Scène 2 - ARGAN, TOINETTE

TOINETTE, en entrant dans la chambre.
On y va.

ARGAN
Ah! chienne! ah! carogne!

TOINETTE, faisant semblant de s'être cogné la tête.
Diantre soit fait de votre impatience! Vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d'un volet.

ARGAN, en colère
Ah! traîtresse!...

TOINETTE, pour l'interrompre et l'empêcher de crier, se plaint toujours, en disant:
Ah!

ARGAN
Il y a...

TOINETTE
Ah!

ARGAN
Il y a une heure...

TOINETTE
Ah!

ARGAN
Tu m'as laissé...

TOINETTE
Ah!

ARGAN
Tais-toi donc, coquine, que je te querelle!

TOINETTE
Çamon, ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait!

ARGAN
Tu m'as fait égosiller, carogne!

TOINETTE
Et vous m'avez fait, vous, casser la tête: l'un vaut bien l'autre. Quitte à quitte, si vous voulez.

ARGAN
Quoi! coquine...

TOINETTE
Si vous querellez, je pleurerai.

ARGAN
Me laisser, traîtresse...

TOINETTE, toujours pour interrompre.
Ah!

ARGAN
Chienne! tu veux...

TOINETTE
Ah!

ARGAN
Quoi! il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de quereller!

TOINETTE
Querellez tout votre soûl: je le veux bien.

ARGAN
Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups!

TOINETTE
Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j'aie le plaisir de pleurer: chacun le sien, ce n'est pas trop. Ah!

ARGAN
Allons, il faut en passer par là. Ote-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement d'aujourd'hui a-t-il bien opéré?

TOINETTE
Votre lavement?

ARGAN
Oui. Ai-je bien fait de la bile?

TOINETTE
Ma foi! je ne me mêle point de ces affaires-là; c'est à monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit.

ARGAN
Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre.

TOINETTE
Ce monsieur Fleurant-là et ce monsieur Purgon s'égayent sur votre corps; ils ont en vous une bonne vache à lait, et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour faire tant de remèdes.

ARGAN 
Taisez-vous, ignorante! ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu'on me fasse venir ma fille Angélique: j'ai à lui dire quelque chose.

TOINETTE
La voici qui vient d'elle-même: elle a deviné votre pensée.



Acte I, Scène 3 / Introduction au Malade imaginaire
L'Ecole des femmes - Le Bourgeois gentilhomme (extrait)
Littérature francophone virtuelle - Publications ou Sommaire de ClicNet


25 mars 1996
cnetter1@cc.swarthmore.edu