Le Malade imaginaire
Acte I


Acte I, Scène 6 - BELINE, ANGELIQUE, TOINETTE, ARGAN

ARGAN
Ah! ma femme, approchez.

BELINE
Qu'avez-vous, mon pauvre mari?

ARGAN
Venez-vous-en ici à mon secours.

BELINE
Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a, mon petit fils?


ARGAN
Ma mie!


BELINE
Mon ami!


ARGAN
On vient de me mettre en colère.

BELINE
Hélas! pauvre petit mari! Comment donc, mon ami?

ARGAN
Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.

BELINE
Ne vous passionnez donc point.

ARGAN
Elle m'a fait enrager, ma mie.

BELINE
Doucement, mon fils.

ARGAN
Elle a contrecarré, une heure durant, les choses que je veux faire.

BELINE
Là, là, tout doux!

ARGAN
Et a eu l'effronterie de me dire que je ne suis point malade.

BELINE
C'est une impertinente.

ARGAN
Vous savez, mon coeur, ce qui en est.

BELINE
Oui, mon coeur; elle a tort.

ARGAN
M'amour, cette coquine-là me fera mourir.

BELINE
Eh là! eh là!

ARGAN
Elle est cause de toute la bile que je fais.

BELINE
Ne vous fâchez point tant.

ARGAN
Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.

BELINE
Mon Dieu! mon fils, il n'y a point de serviteurs et de servantes qui n'aient leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités, à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle; et vous savez qu'il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l'on prend. Holà! Toinette!

TOINETTE
Madame?

BELINE
Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère?

TOINETTE, d'un ton doucereux.
Moi, madame? Hélas! je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu'à complaire à monsieur en toutes choses.

ARGAN
Ah! la traitresse!

TOINETTE
Il nous a dit qu'il voulait donner sa fille en mariage au fils de monsieur Diafoirus; je lui ai répondu que je trouvais le parti avantageux pour elle, mais que je croyais qu'il ferait mieux de la mettre dans un couvent.

BELINE
Il n'y a pas grand mal à cela, et je trouve qu'elle a raison.

ARGAN
Ah! m'amour, vous la croyez? C'est une scélérate; elle m'a dit cent insolences.

BELINE
Eh bien, je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Ecoutez, Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré et des oreillers, que je l'accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles: il n'y a rien qui enrhume tant que de prendre l'air par les oreilles.

ARGAN
Ah! ma mie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi!

BELINE, accommodant les oreillers qu'elle met autour d'Argan.
Levez-vous, que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l'autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.

TOINETTE, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant.
Et celui-ci pour vous garder du serein.

ARGAN se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette.
Ah! coquine, tu veux m'étouffer.

BELINE
Hé, là! hé, là! Qu'est-ce que c'est donc?

ARGAN, tout essoufflé, se jette dans sa chaise.
Ah! ah! ah! je n'en puis plus.

BELINE
Pourquoi vous emporter ainsi? Elle a cru faire bien.

ARGAN
Vous ne connaissez pas, m'amour, la malice de la pendarde. Ah! elle m'a mis tout hors de moi; et il faudra plus de huit médecines et de douze lavements pour réparer tout ceci.

BELINE
Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu.

ARGAN
Ma mie, vous êtes toute ma consolation.

BELINE
Pauvre petit fils!

ARGAN
Pour tâcher de reconnaître l'amour que vous me portez, je veux, mon coeur, comme je vous ai dit, faire mon testament.

BELINE
Ah! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie: je ne saurais souffrir cette pensée; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur.

ARGAN
Je vous avais dit de parler pour cela à votre notaire.

BELINE
Le voilà là-dedans, que j'ai amené avec moi.

ARGAN
Faites-le donc entrer, m'amour.

BELINE
Hélas! mon ami, quand on aime bien un mari, on n'est guère en état de songer à tout cela.



Acte I, Scène 7 / Introduction au Malade imaginaire
L'Ecole des femmes - Le Bourgeois gentilhomme (extrait)
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25 mars 1996
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