Le Malade imaginaire
Acte III


Scène 11 - TOINETTE ARGAN, BERALDE

TOINETTE
Allons, allons, je suis votre servante. Je n'ai pas envie de rire.

ARGAN
Qu'estce que c'est?

TOINETTE
Votre médecin, ma foi, qui me voulait tâter le pouls.

ARGAN
Voyez un peu, à l'âge de quatre-vingt-dix ans!

BERALDE
Oh, cà! mon frère, puisque voilà votre monsieur Purgon brouillé avec vous, ne voulez-vous pas bien que je vous parle du parti qui s'offre pour ma nièce?

ARGAN
Non, mon frère: je veux la mettre dans un couvent, puisqu'elle s'est opposée à mes volontés. Je vois bien qu'il y a quelque amourette là-dessous, et j'ai découvert certaine entrevue secrète qu'on ne sait pas que j'ai découverte.

BERALDE
Eh bien, mon frère, quand il y aurait quelque petite inclination, cela serait-il si criminel? et rien peut-il vous offenser, quand tout ne va qu'à des choses honnêtes, comme le mariage?

ARGAN
Quoi qu'il en soit, mon frère, elle sera religieuse; c'est une chose résolue.

BERALDE
Vous voulez faire plaisir à quelqu'un.

ARGAN
Je vous entends. Vous en revenez toujours là, et ma femme vous tient au coeur.

BERALDE
Eh bien, oui, mon frère; puisqu'il faut parler à coeur ouvert, c'est votre femme que je veux dire; et, non plus que l'entêtement de la médecine, je ne puis vous souffrir l'entêtement où vous êtes pour elle, et voir que vous donniez, tête baissée, dans tous les pièges qu'elle vous tend.

TOINETTE
Ah! monsieur, ne parlez point de madame; c'est une femme sur laquelle il n'y a rien à dire, une femme sans artifice, et qui aime monsieur, qui l'aime... On ne peut pas dire cela.

ARGAN
Demandez-lui un peu les caresses qu'elle me fait.

TOINETTE
Cela est vrai.

ARGAN
L'inquiétude que lui donne ma maladie.

TOINETTE
Assurément.

ARGAN
Et les soins et les peines qu'elle prend autour de moi.

TOINETTE
Il est certain.(A Béralde.) Voulezvous que je vous convainque et vous fasse voir tout à l'heure comme madame aime monsieur? (A Argan.) Monsieur, souffrez que je lui montre son bec jaune et le tire d'erreur.

ARGAN
Comment?

TOINETTE
Madame s'en va revenir. Mettez-vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez la douleur où elle sera quand je lui dirai la nouvelle.

ARGAN
Je le veux bien.

TOINETTE
Oui; mais ne la laissez pas longtemps dans le désespoir, car elle en pourrait bien mourir.

ARGAN
Laisse-moi faire.

TOINETTE, à Béralde.
Cachez-vous, vous, dans ce coin-là.

ARGAN
N'y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort?

TOINETTE
Non, non. Quel danger y aurait-il? Etendez-vous là seulement. (Bas.) Il y aura plaisir à confondre votre frère. Voici madame. Tenez-vous bien.



Acte III, Scène 12 / Introduction au Malade imaginaire
L'Ecole des femmes - Le Bourgeois gentilhomme (extrait)
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25 mars 1996
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