Rousseau

"Fleur"

Fragments pour un dictionnaire des termes d'usage en botanique


Si je livrais mon imagination aux douces sensations que ce mot semble appeler, je pourrais faire un article agréable peut-être aux bergers, mais fort mauvais pour les botanistes: écartons donc un moment les vives couleurs, les odeurs suaves, les formes élégantes, pour chercher premièrement à bien connaître l'être organisé qui les rassemble. Rien ne paraît d'abord plus facile: qui est-ce qui croit avoir besoin qu'on lui apprenne ce que c'est qu'une fleur? "Quand on ne me demande pas ce que c'est que le temps, disait Saint Augustin, je le sais fort bien; je ne le sais plus quand on me le demande." On en pourrait dire autant de la fleur et peut-être de la beauté même, qui, comme elle, est la rapide proie du temps. En effet, tous les botanistes qui ont voulu donner jusqu'ici des définitions de la fleur ont échoué dans cette entreprise, et les plus illustres, tels que MM. Linnæus, Haller, Adanson, qui sentaient mieux la difficulté que les autres, n'ont pas même tenté de la surmonter, et ont laissé la fleur à définir. Le premier a bien donné dans sa Philosophie botanique les définitions de Jungins, de Ray, de Tournefort, de Pontedera, de Ludwig, mais sans en adopter aucune et sans en proposer de son chef.

      Avant lui Pontedera avait bien senti et bien exposé cette difficulté; mais il ne put résister à la tentation de la vaincre. Le lecteur pourra bientôt juger du succès. Disons maintenant en quoi cette difficulté consiste sans néanmoins compter, si je tente à mon tour de lutter contre elle, de réussir mieux qu'on n'a fait jusqu'ici.

      On me présente une rose et l'on me dit: Voilà une fleur. C'est me la montrer, je l'avoue, mais ce n'est pas la définir, et cette inspection ne me suffira pas pour décider sur toute autre plante si ce que je vois est ou n'est pas la fleur; car il y a une multitude de végétaux qui n'ont, dans aucune de leurs parties, la couleur apparente que Ray, Tournefort, Jungins, font entrer dans la définition de la fleur, et qui pourtant portent des fleurs non moins réelles que celles du rosier, quoique bien apparentes.

      On prend généralement pour la fleur la partie colorée de la fleur qui est la corolle, mais on s'y trompe aisément: il y a des bractées et d'autres organes autant et plus colorés que la fleur même et qui n'en font point partie, comme on le voit dans l'ormin, dans le blé-de-vache, dans plusieurs amarantes et chenopodium; il y a des multitudes de fleurs qui n'ont point du tout de corolle, d'autres qui l'ont sans couleur, si petite et si peu apparente, qu'il n'y a qu'une recherche bien soigneuse qui puisse l'y faire trouver. Lorsque les blés sont en fleur, y voit-on des pétales colorés? en voit-on dans les mousses, dans les graminées? en voit-on dans les chatons du noyer, du hêtre et du chêne, dans l'aulne, dans le noisetier, dans le pin, et dans ces multitudes d'arbres et d'herbes qui n'ont que des fleurs à étamines ? Ces fleurs néanmoins n'en portent pas moins le nom de fleur: l'essence de la fleur n'est donc pas dans la corolle.

      Elle n'est pas non plus séparément dans aucune des autres parties constituantes de la fleur, puisqu'il n'y a aucune de ces parties qui ne manque à quelques espèces de fleurs: le calice manque, par exemple, à presque toute la famille des liliacées, et l'on ne dira pas qu'une tulipe ou un lis ne sont pas une fleur. S'il y a quelques parties plus essentielles que d'autres à une fleur, ce sont certainement le pistil et les étamines: or, dans toutes la famille des cucurbitacées, et même dans toute la classe des monoïques, la moitié des fleurs sont sans pistil, l'autre moitié sans étamines, et cette privation n'empêche pas qu'on ne les nomme et qu'elles ne soient les unes et les autres de véritables fleurs. L'essence de la fleur ne consiste donc ni séparément dans quelques-unes de ses parties dites constituantes, ni même dans l'assemblage de toutes ces parties. En quoi donc consiste proprement cette essence? Voilà la question, voilà la difficulté, et voici la solution par laquelle Pontedera a tâché de s'en tirer.

      La fleur, dit-il, est une partie dans la plante, différente des autres par sa nature et par sa forme, toujours adhérente et utile à l'embryon, si la fleur a un pistil; et, si le pistil manque, ne tenant à nul embryon.

      Cette définition pèche, ce me semble, en ce qu'elle embrasse trop; car, lorsque le pistil manque, la fleur n'ayant plus d'autres caractères que de différer des autres parties de la plante par sa nature et par sa forme, on pourra donner ce nom aux bractées, aux stipules, aux nectarium, aux épines, et à tout ce qui n'est ni feuilles ni branches; et quand la corolle est tombée et que le fruit approche de sa maturité, on pourrait encore donner le nom de fleur au calice et au réceptacle, quoique réellement il n'y ait alors plus de fleur. Si donc cette définition convient omni, elle ne convient pas soli, et manque par là d'une des deux principales conditions requises: elle laisse d'ailleurs un vide dans l'esprit, qui est le plus grand défaut qu'une définition puisse avoir; car, après avoir assigné l'usage de la fleur au profit de l'embryon quand elle y adhère, elle fait supposer totalement inutile celle qui n'y adhère pas, et cela remplit mal l'idée que le botaniste doit avoir du concours des parties et de leur emploi dans le jeu de la machine organique.

      Je crois que le défaut général vient ici d'avoir trop considéré la fleur comme une substance absolue, tandis qu'elle n'est, ce me semble, qu'un être collectif et relatif; et d'avoir trop raffiné sur les idées, tandis qu'il fallait se borner à celle qui se présentait naturellement. Selon cette idée, la fleur ne me paraît être que l'état passager des parties de la fructification durant la fécondation du germe: de là suit que, quand toutes les parties de la fructification seront réunies, il n'y aura qu'une fleur; quand elles seront séparées, il y en aura autant qu'il y a de parties essentielles à la fécondation; et, comme ces parties essentielles ne sont qu'au nombre de deux, savoir, le pistil et les étamines, il n'y aura par conséquent que deux fleurs, l'une mâle et l'autre femelle, qui soient nécessaires à la fructification. On en peut cependant supposer une troisième qui réunirait les sexes séparés dans les deux autres; mais alors, si toutes ces fleurs étaient également fertiles, la troisième rendrait les autres superflues et pourrait seule suffire à l'oeuvre, ou bien il y aurait réellement deux fécondations; et nous n'examinons ici la fleur que dans une.

      La fleur n'est donc que le foyer et l'instrument de la fécondation: une seule suffit quand elle est hermaphrodite; quand elle n'est que mâle ou femelle, il en faut deux; savoir, une de chaque sexe; et si l'on fait entrer d'autres parties, comme le calice et la corolle, dans la composition de la fleur, ce ne peut être comme essentielles, mais seulement comme nutritives et conservatrices de celles qui le sont. Il y a des fleurs sans calice; il y en a sans corolle; il y en a même sans l'un et sans l'autre; mais il n'y en a point, et il n'y en saurait avoir qui soient en même temps sans pistil et sans étamines.

      La fleur est une partie locale et passagère de la plante qui précède la fécondation du germe, et dans laquelle ou par laquelle elle s'opère.

      Je ne m'étendrai pas à justifier ici tous les termes de cette définition qui peut-être n'en vaut pas la peine; je dirai seulement que le mot précède m'y paraît essentiel, parce que le plus souvent la corolle s'ouvre et s'épanouit avant que les anthères s'ouvrent à leur tour; et, dans ce cas, il est incontestable que la fleur préexiste à l'oeuvre de la fécondation. J'ajoute que cette fécondation s'opère dans elle ou par elle, parce que, dans les fleurs mâles des plantes androgynes et dioïques, il ne s'opère aucune fructification, et qu'elles n'en sont pas moins des fleurs pour cela.

      Voilà, ce me semble, la notion la plus juste qu'on puisse se faire de la fleur, et la seule qui ne laisse aucune prise aux objections qui renversent toutes les autres définitions qu'on a tenté d'en donner jusqu'ici: il faut seulement ne pas prendre trop strictement le mot durant, que j'ai employé dans la mienne; car même avant que la fécondation du germe soit commencée, on peut dire que la fleur existe aussitôt que les organes sexuels sont en évidence, c'est-à-dire aussitôt que la corolle est épanouie; et d'ordinaire les anthères ne s'ouvrent pas à la poussière séminale dès l'instant que la corolle s'ouvre aux anthères. Cependant la fécondation ne peut commencer avant que les anthères soient ouvertes; de même l'oeuvre de la fécondation s'achève souvent avant que la corolle se flétrisse et tombe; or, jusqu'à cette chute, on peut dire que la fleur existe encore. Il faut donc donner nécessairement un peu d'extension au mot durant, pour pouvoir dire que la fleur et l'oeuvre de la fécondation commencent et finissent ensemble.

      Comme généralement la fleur se fait remarquer par sa corolle, partie bien plus apparente que les autres par la vivacité de ses couleurs, c'est dans cette corolle aussi qu'on fait machinalement consister l'essence de la fleur, et les botanistes eux-mêmes ne sont pas toujours exempts de cette petite illusion, car souvent ils emploient le mot de fleur pour celui de corolle; mais ces petites impropriétés d'inadvertance importent peu quand elles ne changent rien aux idées qu'on a des choses quand on y pense. De là ces mots de fleurs monopétales, polypétales, de fleurs labiées, personnées, de fleurs régulières irrégulières, etc., qu'on trouve fréquemment dans les livres même d'institution. Cette petite impropriété était non seulement pardonnable, mais presque forcée à Tournefort et à ses contemporains, qui n'avaient pas encore le mot de corolle, et l'usage s'en est conservé depuis eux par l'habitude, sans grand inconvénient; mais il ne serait pas permis à moi qui remarque cette incorrection de l'imiter ici; ainsi je renvoie au mot corolle à parler de ses formes diverses et de ses divisions.

      Mais je dois parler ici des fleurs composées et simples, parce que c'est la fleur même et non la corolle qui se compose, comme on le va voir après l'exposition des parties de la fleur simple.

      On divise cette fleur en complète et incomplète. La fleur complète est celle qui contient toutes les parties essentielles ou concourantes à la fructification, et ces parties sont au nombre de quatre: deux essentielles, savoir, le pistil et l'étamine, ou les étamines; et deux accessoires ou concourantes, savoir, la corolle et le calice; à quoi l'on doit ajouter le disque ou réceptacle qui porte le tout.

      La fleur est complète quand elle est composée de toutes ces parties; quand il lui en manque quelqu'une, elle est incomplète. Or, la fleur incomplète peut manquer non seulement de corolle et de calice, mais même de pistil ou d'étamine, et dans ce dernier cas, il y a toujours une autre fleur, soit sur le même individu, soit sur un différent, qui porte l'autre partie essentielle qui manque à celle-ci; de là la division en fleurs hermaphrodites, qui peuvent être complètes ou ne l'être pas, et en fleurs purement mâles ou femelles, qui sont toujours incomplètes.

      La fleur hermaphrodite incomplète n'en est pas moins parfaite pour cela, puisqu'elle se suffit à elle-même pour opérer la fécondation; mais elle ne peut être appelée complète, puisqu'elle manque de quelqu'une des parties de celles qu'on appelle ainsi. Une rose, un oeillet, sont, par exemple, des fleurs parfaites et complètes, parce qu'elles sont pourvues de toutes ces parties. Mais une tulipe, un lis, ne sont point des fleurs complètes, quoique parfaites, parce qu'elles n'ont point de calice; de même la jolie petite fleur appelée paronychia est parfaite comme hermaphrodite; mais elle est incomplète, parce que, malgré sa riante couleur, il lui manque une corolle.

      Je pourrais, sans sortir encore de la section des fleurs simples, parler ici des fleurs régulières, et des fleurs appelées irrégulières. Mais, comme ceci se rapporte principalement à la corolle, il vaut mieux sur cet article renvoyer le lecteur à ce mot. Reste donc à parler des oppositions que peut souffrir ce nom de fleur simple.

      Toute fleur d'où résulte une seule fructification est une fleur simple. Mais si d'une seule fleur résultent plusieurs fruits, cette fleur s'appellera composée, et cette pluralité n'a jamais lieu dans les fleurs qui n'ont qu'une corolle. Ainsi toute fleur composée a nécessairement non seulement plusieurs pétales, mais plusieurs corolles; et, pour que la fleur soit réellement composée, et non pas une seule agrégation de plusieurs fleurs simples, il faut que quelqu'une des parties de la fructification soit commune à tous les fleurons composants, et manque à chacun d'eux en particulier.

      Je prends, par exemple, une fleur de laiteron, la voyant remplie de plusieurs petites fleurettes, et je me demande si c'est une fleur composée. Pour savoir cela, j'examine toutes les parties de la fructification l'une après l'autre, et je trouve que chaque fleurette a des étamines, un pistil, une corolle, mais qu'il n'y a qu'un seul réceptacle en forme de disque qui les reçoit toutes, et qu'il n'y a qu'un seul grand calice qui les environne; d'où je conclus que la fleur est composée, puisque deux parties de la fructification, savoir le calice et le réceptacle, sont communes à toutes et manquent à chacune en particulier.

      Je prends ensuite une fleur de scabieuse où je distingue aussi plusieurs fleurettes; je l'examine de même, et je trouve que chacune d'elles est pourvue en son particulier de toutes les parties de la fructification, sans en excepter le calice et même le réceptacle, puisqu'on peut regarder comme tel le second calice qui sert de base à la semence. Je conclus donc que la scabieuse n'est point une fleur composée, quoiqu'elle rassemble comme elle plusieurs fleurettes sur un même disque et dans un même calice.

      Comme ceci pourtant est sujet à dispute, surtout à cause du réceptacle, on tire des fleurettes mêmes un caractère plus sûr, qui convient à toutes celles qui constituent proprement une fleur composée et qui ne convient qu'à elles: c'est d'avoir cinq étamines réunies en tube ou cylindre par leurs anthères autour du style, et divisées par leurs cinq filets au bas de la corolle; toute fleur dont les fleurettes ont leurs anthères ainsi disposées est donc une fleur composée, et toute fleur où l'on ne voit aucune fleurette de cette espèce n'est point une fleur composée, et ne porte même au singulier qu'improprement le nom de fleur, puisqu'elle est réellement une agrégation de plusieurs fleurs.

      Ces fleurettes partielles qui ont ainsi leurs anthères réunies, et dont l'assemblage forme une fleur véritablement composée, sont de deux espèces: les unes, qui sont régulières et tubulées, s'appellent proprement fleurons; les autres, qui sont échancrées et ne présentent par le haut qu'une languette plane et le plus souvent dentelée, s'appellent demi-fleurons; et des combinaisons de ces deux espèces dans la fleur totale, résultent trois sortes principales de fleurs composées, savoir, celles qui ne sont garnies que de fleurons, et celles qui ne sont garnies que de demi-fleurons, et celles qui sont mêlées des uns et des autres.

      Les fleurs à fleurons ou fleurs fleuronnées se divisent encore en deux espèces, relativement à leur forme extérieure. Celles qui présentent une figure arrondie en manière de tête, et dont le calice approche de la forme hémisphérique, s'appellent fleurs en tête, capitati: tels sont, par exemple, les chardons, les artichauts, la chaussetrape.

      Celles dont le réceptacle est plus aplati, en sorte que les fleurons forment avec le calice une figure à peu près cylindrique, s'appellent fleurs en disque, discoïdes: la santoline, par exemple, et l'eupatoire offrent des fleurs en disque ou discoïdes.

      Les fleurs à demi-fleurons s'appellent demi-fleuronnées, et leur figure extérieure ne varie pas assez régulièrement pour offrir une division semblable à la précédente. Le salsifis, la scorsonère, le pissenlit, la chicorée, ont des fleurs demi-fleuronnées.

      A l'égard des fleurs mixtes, les demi-fleurons ne s'y mêlent pas parmi les fleurons en confusion, sans ordre; mais les fleurons occupent le centre du disque, les demi-fleurons en garnissent la circonférence et forment une couronne à la fleur, et ces fleurs ainsi couronnées portent le nom de fleurs radiées. Les reines-marguerites et tous les asters, le souci, les soleils, la poire-de-terre, portent tous des fleurs radiées.

      Toutes ces sections forment encore dans les fleurs composées, et relativement au sexe des fleurons, d'autres divisions dont il sera parlé dans l'article Fleuron.

      Les fleurs simples ont une autre sorte d'opposition dans celles qu'on appelle fleurs doubles ou pleines. La fleur double est celle dont quelqu'une des parties est multipliées au-delà de son nombre naturel, mais sans que cette multiplication nuise à la fécondation du germe.

      Les fleurs se doublent rarement par le calice, presque jamais par les étamines. Leur multiplication la plus commune se fait par la corolle. Les exemples les plus fréquents en sont dans les fleurs polypétales, comme oeillets, anémones, renoncules; les fleurs monopétales doublent moins communément. Cependant on voit assez souvent des campanules, des primevères, des auricules, et surtout des jacinthes à fleur double.

      Ce mot de fleur double ne marque pas dans le nombre des pétales une simple duplication, mais une multiplication quelconque. Soit que le nombre des pétales devienne double, triple, quadruple, etc., tant qu'ils ne multiplient pas au point d'étouffer la fructification, la fleur garde toujours le nom de fleur double; mais, lorsque les pétales trop multipliées font disparaître les étamines et avorter le germe, alors la fleur perd le nom de fleur double et prend celui de fleur pleine.

      On voit par là que la fleur double est encore dans l'ordre de la nature, mais que la fleur pleine n'y est plus et n'est qu'un véritable monstre.

      Quoique la plus commune plénitude des fleurs se fasse par les pétales, il y en a néanmoins qui se remplissent par le calice, et nous en avons un exemple bien remarquable dans l'immortelle, appelée xéranthème. Cette fleur, qui paraît radiée, et qui réellement est discoïde, porte ainsi que la carline un calice imbriqué, dont le rang intérieur a ses folioles longues et colorées; et cette fleur, quoique composée, double et multiplie tellement par ses brillantes folioles, qu'on les prendrait, garnissant la plus grande partie du disque, pour autant de demi-fleurons.

      Ces fausses apparences abusent souvent les yeux de ceux qui ne sont pas botanistes, mais quiconque est initié dans l'intime structure des fleurs ne peut s'y tromper un moment. Une fleur demi-fleuronnée ressemble extérieurement à une fleur polypétale pleine; mais il y a toujours cette différence essentielle que, dans la première, chaque demi-fleuron est une fleur parfaite qui a son embryon, son pistil et ses étamines, au lieu que, dans la fleur pleine, chaque pétale multiplié n'est toujours qu'un pétale qui ne porte aucune des parties essentielles à la fructification. Prenez l'un après l'autre les pétales d'une renoncule simple, ou double, ou pleine, vous ne trouverez dans aucun nulle autre chose que le pétale même; mais dans le pissenlit chaque demi-fleuron garni d'un style entouré d'étamines n'est pas un simple pétale, mais une véritable fleur.

      On me présente une fleur de nymphéa jaune (Act. nénuphar), et l'on me demande si c'est une composée ou une fleur double. Je réponds que ce n'est ni l'une ni l'autre. Ce n'est pas une composée, puisque les folioles qui l'entourent ne sont pas des demi-fleurons; et ce n'est pas une fleur double, parce que la duplication n'est l'état naturel d'aucune fleur, et que l'état naturel d'aucune fleur de nymphéa jaune est d'avoir plusieurs enceintes de pétales autour de son embryon. Ainsi cette multiplicité n'empêche pas le nymphéa jaune d'être une fleur simple.

      La constitution commune au plus grand nombre des fleurs est d'être hermaphrodites; et cette constitution paraît en effet la plus convenable au règne végétal, où les individus dépourvus de tout mouvement progressif et spontané ne peuvent s'aller chercher l'un l'autre quand les sexes sont séparés. Dans les arbres et les plantes où ils le sont, la nature, qui sait varier ses moyens, a pourvu à cet obstacle; mais il n'en est pas moins vrai généralement que des êtres immobiles doivent, pour perpétuer leur espèce, avoir en eux-mêmes tous les instruments propres à cette fin.

1er édition: 1781

Mme de Warens
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ClicNet, décembre 1995
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