Huguette Bertrand


VOIX

Ecoutez "VOIX" lu par l'auteure

Quand le monde s'endort
j'ai mal à mes pareils
à leurs amours échevelées
au milieu de leurs affaires
leurs pieds bien engagés
dans une mare juridique
j'ai mal à leurs valises
autour du globe
ces habitués des solitudes
leurs fuites au noir
dans le jaune de l'histoire
ces verts-de-gris qui jasent
dans le blanc des jours
j'ai mal au pouvoir éhonté de leurs mains
quand tout se passe
comme si de rien n'était
j'ai mal oui j'ai mal
quand la nuit poursuit ses enfants trop sales
cachés dans le ventre des villes
leur table dépourvue de sens
oui j'ai mal à leurs seringues
aux vendanges trouées de leurs bras
spécimens des téléthons
petites monnaies
quand j'enrage
j'ai mal oui j'ai mal
quand sonnent les bourdons
du corps évidé des églises
j'ai mal aussi oui j'ai mal à vos absences
j'ai mal à mon désir
quand la pluie me pousse
vers les abîmes de mon corps
suspendu aux vôtres
j'ai mal à vos silences
ces intervalles prolongés entre vos mots
ces silences comme un souffle
qui perdure à l'entrée de mon âme
débordée par ce feu toujours lancinant
accompagnement de l'être
quand tout veut basculer
dans le néant

j'ai mal à ce qui remplit le coeur de mes pareils
comme une voix qui monte
pour dire
j'ai mal



CONTOURS

Oui je rêve que je ne rêve pas
dans le délire de tes nuits
dans la conscience du jour
cet envie de colorer tes arcs-en-ciel
aux prises avec les nuages
assise sous le chêne
à brouter des impatiences
dans la gueule du temps
empanaché d'étoiles
de fils d'araignée
quand la voix cherche les contours du corps
pour la suite du jour



DEJEUNER

Tu peux toujours croquer quelques mots
pour déjeuner
pour accrocher les soucis
dans l'oeil figé
du temps
qu'il fait dehors
les branches tendues
aux quatre vents



REGARDS

Derrière les montagnes
on aperçoit des regards vagabonder ça et là
entre les arbres
comme des sourires prolongés
jusqu'au faîte de l'âme
brisée par de trop longues étreintes

on aperçoit dans le tard des nuits
quelques espaces de tendresse
pour étouffer l'ennui
quand le coeur fauve vient s'échouer
aux abords des yeux
ensablés par de trop longues heures d'attente

les jours nous regardent dormir
entre les branches



BRISE

C'est d'un tendre
comme une brise roucoulante
venue s'échouer
dans le cou de l'aube

c'est d'un tendre
si lourd sur le coeur
quand au loin
le regard perce les nuages
de mon âme

c'est d'un tendre
qui parcourt le corps
dans son bouillon
dans la chair de l'image
qu'au loin je contemple
tout près

c'est d'un tendre
du soir jusqu'au matin
pour étancher la soif
pour apprivoiser les battements du coeur
dans l'instant



DE L'AMOUR EN MASSE

Je bois à la source de vos mots
comme une délivrance temporaire
quand la vague soupire
quand le corps n'en peut plus
de vous regarder dans l'embrasure des montagnes
à travers le songe de vos regards
venus si près de toucher l'indécence
ce voluté du coeur
jusqu'au vacillement des sens
déboutonnés jusqu'à l'os

c'est de l'amour
dans le concentré des jours
quand l'impuissance du geste
s'étire à n'en plus finir
pour espacer les désirs
qui se heurtent aux trop longues heures
d'attente

c'est de l'amour
comme un fruit arraché haut et court à l'automne
un fruit d'hiver mûri à même les délicaresses
quand le printemps s'allume allègrement
aux abords de l'été



HYPOTHERMIE

Le jour n'en peut plus de dormir
si tard dans son lit
cette âme qui dort tout bonnement
dans sa nuit
un pan de nuit accrochée à la vie
quand la vie se mesure
à nos pas piétinés
quand la vie nous rassure
dans le délire des chambres



Trois-Rivières, Québec, Canada (3 juin 1996)

Copyright © 1996 Huguette Bertrand



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