Claude Champagne

Lire La Muerte d'Amour et Jules



      Ce document, loin de vouloir narguer son lecteur, se veut le résultat des nombreux commentaires portés à l'endroit de Amour et Jules.

      En effet, deux camps s'opposent : les franchement pour et les incontournables contre. Ce qui frappe d'abord, ce sont les raisons données par chacune des parties. On aime ou on déteste, et ce, pour les mêmes raisons. On serait tenter d'y voir quelque chose de très positif, finalement. L'important, c'est que ce texte suscite des réactions. Soit que les gens tombent littéralement en amour avec le personnage de La Muerte et son niveau de langage particulier, se rapprochant d'une écriture ducharmienne; soit qu'on trouve cela inintéressant, que l'on qualifie le style d'écriture automatique.

      Or, ce n'est ni l'un, ni l'autre. Il s'agit de la langue d'un auteur qui suit un processus bien défini dramatiquement dans une démarche d'écriture qui essaie de se démarquer de façon novatrice. Tout a été fait, oui, mais pas par moi, disait Vigneault; et un jeune auteur ne peut que confirmer cette formule, devenant un adage pour lui.

      Ceci dit, d'autres critiques se sont tournées vers le côté narratif de la pièce, n'y voyant là qu'un récit tout à fait anti-théâtral. Cela vient, je crois, de ce que l'auteur a été avare de didascalies. Certains types de lecteurs ont besoin, plus que d'autres, de se faire prendre par la main, si je puis dire. Sinon, ils n'arrivent pas à se faire leur petit cinéma maison, disons. Ici, l'auteur a, d'abord et avant tout, voulu écrire un texte.

      La quasi absence d'indications scéniques se traduisait, dans la volonté du dramaturge, par le souhait de donner entière liberté à l'éventuel metteur en scène : quelqu'un d'intelligent, bourré d'imagination qui considère que, comme la poésie, l'invention n'est pas une effraction.

      Donc, dans une première lecture du texte, on pourrait être porté à croire qu'il ne se passe strictement rien. Que les personnages de Amour et de Jules ne font que se remémorer des événements marquants de leur vie, sans aucun but apparent.

      D'abord, je crois que le simple fait, pour l'avoir vérifier dans la vie ordinaire, de se raconter un moment troublant vécu avec une autre personne fait naître un type, une qualité d'émotion particulière. Tout à coup, on se prend au jeu, on revit presque, comme si on y était encore, ce souvenir évocateur de tous les dangers.

      Dramatiquement, cela donne des acteurs qui, loin d'uniquement faire l'étalage des faits, se mette à revivre la situation. Par la force et la précision de leur jeu, les comédiens arrivent à faire partager au spectateur ce qui est arrivé aux protagonistes comme si l'action évoquée se reproduisait au moment même.

      Dans l'écriture, on peut vérifier le procédé par la transition des temps de verbe, du passé au présent. Tout ce qui est au présent, hé bien, se passe au présent. Plus précisément, tout ce qui est transcrit entre guillemets se déroule dans un passé catapulté au présent par l'émotion transmise par les acteurs. De même, je pense que La Muerte est toujours présente, même pendant les scènes d'Amour et de Jules. Et ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de didascalies, qu'il n'y a pas de mouvements sur scène.

      Un peu d'imagination, s'il vous plaît. Il faut aimer ce texte, prendre son temps avec, laisser naître en nous les images. Créer est un acte sexuel.

      Plus globalement, la pièce est animée par les pulsions de vie et de mort, d'autodestruction, que nous vivons tous à plus ou moins grande échelle.

      Ici, pour pousser plus loin mes explications, je me dois de vous vendre le punch. Hé, c'est comme ça. Ce que l'on n'apprend qu'à la fin, c'est que le personnage de Amour est mort dès le tout début de la pièce. Il s'agit donc pour Jules de vivre un deuil. Traverser les éléments nécessaires du souvenir qu'il voudrait garder, ne jamais laisser partir : l'âme de Amour.

      La Muerte, par un jeu absurde et presque calculé du hasard - que l'on n'oserait nommer destin - est venue frapper les amoureux au moment où ils étaient les plus heureux du monde. Mais elle a raté son coup : Jules est demeuré vivant.

      Sa quête, tout au long, sera de tenter d'amener Jules avec elle sur les sentiers de la mort. Elle se présentera à lui sous différents aspects, toutes ces petites morts que nous pouvons tous éprouver. Amour s'obstinera à rester avec Jules jusqu'à la fin, jusqu'au début. Elle est pour lui l'amour, l'amour de l'art, de la vie; sa muse de tous les instants, celle avec qui il essaiera toujours de vaincre, de lutter contre cette chienne de mort.

Bonne lecture!
Claude Champagne


Copyright © 1997 Claude Champagne


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2 avril 1997
Edition et illustrations: Carole Netter
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