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Pierre-Yves Millot

Pour en finir avec le RIEN (1996)


"J'ai trente-deux ans. J'ai donc mis trente-deux ans pour écrire ces quelques phrases. C'est beaucoup pour si peu. Pour si peu de matière. Et pourtant je leur trouve un goût d'inachevé. A chaque fois que j'en relis une, il me vient l'envie de la transformer, de la compléter, de l'amputer. De la supprimer.
Aujourd'hui elles sont publiées en ligne. Elles me quittent. Je les laisse à tous ceux pour qui le rien veut dire quelque chose." Pierre-Yves Millot


LE TEMPS * DIEU * L'HOMME * LA MORT * L'HISTOIRE * LA SOLITUDE * LE SENS * LA REALITE * LA CONVERSATION * L'ENNUI * LA PENSEE * LES ARTISTES * L'ECRITURE * L"INFINI * L'AILLEURS * LE DESESPOIR * LE RIEN




Le
temps
sera
toujours
ce
qu'il
a
toujours
été.

LE TEMPS

Lorsque je fouille
dans mes souvenirs, je revois
la caverne où vivait ma tribu
il y a
quelques
centaines de milliers d'années,
et je me dis
d'une part
que
le temps passe vite
et d'autre part
que
ma mémoire n'est pas si mauvaise.





Dieu existe car Dieu
est
ce qui n'existe pas.

La vie
est une suite de malentendus.
A commencer par
Dieu.

Gardons nos haines pour Dieu,
et nos compassions pour nous-mêmes.
Lui s'en tirera toujours à bon compte.

Comment
croire
en
Dieu
lorsqu'on
ne
croit
même
pas
en
soi-même?

DIEU





L'HOMME

L'Individu
est la seule
personne
que j'aime
à côtoyer.
Nous sommes tous différents
et tous semblables; et je suis
entièrement d'accord avec celui qui
prétendra le contraire.

Qui sont donc ces autres qui se prennent pour eux-mêmes?

Entre un être humain
et un caillou,
je ne vois guère plus de différence
qu'entre une grenouille
et un crapaud.

Rousseau disait: l'homme est naturellement bon.
Il aurait dû se contenter de: l'homme est naturel;
Voire l'homme est Nature. Et encore...
Entre l'homme et la Nature,
j'enlève volontiers le mot "est".
Finalement Rousseau aurait été mieux avisé
de s'abstenir de dire quoi que ce soit.
Comme tous les autres d'ailleurs.

A force de supposer que l'homme existe, on va finir par le croire.





LA MORT

Lorsque je ne pense pas à la mort
j'ai l'impression de perdre mon temps.
J'aime tellement la mort
que je mourrais
volontiers
plusieurs
fois.

Même
au dernier moment
je ne pourrai croire
à ma propre mort;
et j'aurai raison!
J'attends la fin du monde avec impatience.
C'est imminent: plus que quelques millions d'années.
La vie est une erreur.
La mort est un contre-sens.
La mort n'arrive qu'aux autres. Comme j'aimerais être un autre pour m'en assurer!

Le souvenir de ma future mortm'amuse ou m'effraie; c'est selon.

Je vais mourir.
Je vais mourir.
Je vais mourir.
A force de le répéter je finirai bien par m'en convaincre.



Quelle tristesse tristesse tristesse tristesse tristesse tristesse
de ne pouvoir pouvoir pouvoir pouvoir pouvoir
réussir réussir réussir réussir réussir
son suicide qu'une une une une une une une une seule fois!
A la base de tout:
le ver de terre
qui rongera nos cadavres.

Parmi tous les gens qui sont morts, y en a-t-il un
qui se souviendra
de moi?




L'HISTOIRE





Si j'étais seul sur terre, je ferais comme si je n'étais pas là.

Qui a dit que la solitude était pesante?
Sans doute quelqu'un qui n'avait pas encore été broyé.





LE SENS

Si les mots n'existaient pas,
j'aurais soin de ne pas donner à mes grognements la moindre signification.

Je ne
vois guère que
le non-sens
pour donner
un sens
à ma vie.

Ma religion:
l'absurde.
Les autres
n'ont
pas
de
sens.





LA REALITE

Si
les apparences sont trompeuses, que
dire de la réalité!

Je n'arrive à entrevoir la réalité que dans le vague des incertitudes.






LA CONVERSATION

C'est en discutant avec un caillou
qu'on a le plus de chance
de se rendre compte des limites de la conversation.





L'ENNUI

L'ennui est ma distraction
préférée.
S'ennuyer,
c'est ne pas ennuyer les autres.
Tout n'a pas encore été dit.
Quel ennui!





Le penseur authentique:
celui qui n'a rien écrit,
ni même exprimé.
L'activité des autres relève de la prostitution.

Penser toute une vie pour en arriver là...





"Artiste":
le seul fait d'entendre ce mot me donne envie de vomir.

LES ARTISTES

Entre ma concierge et Léonard de Vinci,
la différence est si minime que j'en viens
parfois à croire que c'est ce dernier
qui m'apporte le courrier chaque matin.










ça
me
fatigue.





L'AILLEURS

Aussi loin de moi-même que je puisse me trouver, je n'aurais jamais l'impression d'être ailleurs que là où je ne suis pas.









Rien
n'est
inexplicable
à
part...
tout.

LE RIEN

Rien
n'est
négligeable,
même
le
"Rien".
Ou alors...
Non!

Tout est
négligeable,
même le "Tout".
Quoique...
Mettons qu'
il n'y a de
négligeable
que
le
négligeable
et
restons-en là!

A force de ne rien
chercher,
je finirai bien par arriver

nulle part.

Finalement
il n'y a pas

tant d'espace
entre l'infiniment petit
et l'infiniment grand...
juste un Rien infini.

Je ne vois pas de meilleure chose à faire que rien.
Mais
ne
rien
faire
demande de la témérité.

A l'origine
de
tout,
je
ne
vois
rien
qui
puisse être.

Il n'y a rien à attendre de tout;
il y a tout à attendre de rien.

Qui est donc ce prétendu RIEN
qui nous poursuit impunément et nous encercle insolemment?

Celui qui a inventé le z
é
r
o
aurait mieux fait de penser à rien ce jour-là.

J'aime les phrases
qui sont proches du rien-dire;
elles ont la force de l'insignifiance.

Rendons à l'insignifiant l'importance qu'il mérite.


      Il faut traquer
      l'infiniment petit
      pour ressentir les joies
      de l'insignifiance.

Etre ou ne pas être?
Quelle prétention!
Disons plus humblement:
Rien ou quelque chose?
Et encore... le seul fait
de poser cette question
me semble bien audacieux;
et même de poser une question
quelle qu'elle soit.
Lorsqu'on
aura
compris
qu'il n'y a rien à comprendre,
il ne restera plus
qu'à
oublier
tout ce qu'on n'aura pas compris.

Les phrases sont trop longues.
Que ne puisse-t-on tout dire en un seul mot!

"Rien" suffirait-il?...



LE TEMPS * DIEU * L'HOMME * LA MORT * L'HISTOIRE * LA SOLITUDE * LE SENS * LA REALITE * LA CONVERSATION * L'ENNUI * LA PENSEE * LES ARTISTES * L'ECRITURE * L"INFINI * L'AILLEURS * LE DESESPOIR * LE RIEN


Je renvoie ceux qui trouveraient pessimistes certains de ces aphorismes à cette citation de Julien Torma:
"Pour l'optimiste tout est bien: font partie de l'harmonie tous ces désordres, stupidités et insignifiances. Quel pessimiste! Pour le pessimiste tout devrait être beaucoup mieux: il semble croire qu'on puisse concevoir l'univers autrement qu'absurde et l'homme autrement que médiocre. Quel optimiste!"


Copyright © 1996 Pierre-Yves Millot


Références bibliographiques
Si vous voulez écrire à Pierre-Yves Millot: pym@club-internet.fr
Site personnel de Pierre-Yves Millot: http://www.chez.com/pymillot/

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ClicNet, mai 1996
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