Domi Perez

"Le prix"

Le prix


Le poète veut un prix :
il écrit, il écrit, il écrit
un poème
dans l'air du temps
qu'il envoie
ici ou là et encore
plus loin.

Mais son poème,
il ne vaut rien,
il ne vaut même pas
un franc symbolique !
Il ne vaut rien,
il vaut des dettes !

Son poème,
il vaut les dettes
que le poète a faites
pour l'écrire.
Il vaut
les feuilles de papier
les crayons
et les gommes ;
toutes les grosses,
très grosses gommes
que le poète use
afin que ses rêves, ses idées, ses souvenirs, ses amours
soient un peu mieux
photographiés.
Le procédé nécessite
beaucoup de
feuilles,
crayons
et gommes.
Les gens disent de lui :
c'est un poète à la gomme.

Le poète veut un prix.
Il écrit, il écrit, il écrit.
Les gens ne savent pas
combien il lui en coûte.
Il y a très longtemps
quand il posait ses premiers mots,
le poète était fier :
il croyait inventer
une poésie nouvelle !
Il cherchait un style...
et en trouva beaucoup !
mais ses poèmes ne plaisaient pas.
Le poète se croyait
maudit, incompris, banni.
Et puis
le temps passe... le poète
se relit : hélas !
où sont les rêves, les idées, les souvenirs, les amours ?
Sur la feuille élimée
la trace du crayon
n'évoque plus rien ;
le temps a tout
gommé.

Le poète veut un prix.
Il écrit, il écrit, il écrit
mais maintenant il laisse
du temps au temps.
Il décante sa poésie
et la goûte plusieurs fois.
Un jour, il la jugera
bonne à dire.
Il se dit toujours poète
mais avec un P minuscule ;
un P majuscule,
cela ne fait pas un Poète,
cela fait un Prétentieux.

Le poète veut un prix.
Il écrit, il écrit, il écrit
aussi parce qu'il aime
jouer avec les sons ;
mais il refuse
les jeux de mots gratuits
pour avoir un prix.

Quand il envoie ses poèmes,
le poète est très poli ;
il écrit : " Je vous en prie,
veuillez agréer, et caetera... "
et en retour
il reçoit aussi
un courrier très gentil :
" Monsieur ou madame,
votre ouvrage a beaucoup de qualités
mais
nous avons
le regret de vous informer
qu'il ne s'intègre dans
aucune
de nos collections actuelles.
Si vous désirez récupérer votre manuscrit,
envoyez-nous 30 francs
en timbres-poste.
Passé un délai de trois mois
et un jour
votre manuscrit sera
détruit. "

Le poète continue :
il écrit, il écrit, il écrit
parce qu'il a
plein la tête
de rêves, d'idées, de souvenirs et d'amours ;
il écrit pour crier cela !
et ainsi, il devient
un autre
qui est lui et différent.

Le poète écrit
et, au fond,
il ne sait pas pourquoi,
il aimerait,
il aimerait
entendre
que sa poésie

n'a pas de prix.

1997

Texte de Domi Perez (Copyright © 1997)

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