"l'accomplissement suprême de l'art est l'art de dissimuler l'art"
INTRODUCTION
En venant à cet atelier, vous avez peut-être soupçonné un dépaysement mystérieux. S'il y a lieu, je tiens à corriger cette impression: ni kimono, ni sushi, ni hara-kiri en vue...
Bonsaï, ikebana, kabuki, koto, origami et sumo sont des mots récemment entrés dans notre quotidien et qui ont affiné l'idée que l'on se fait du Japon. La curiosité pour les arts traditionnels du Japon a crû, peu à peu, avec l'impressionnante réussite économique d'un pays qui n'a ouvert ses portes sur l'Occident que depuis un peu plus d'un siècle. Il n'est pas étonnant que cette culture en fascine plus d'un et suscite le désir d'aller au-delà de certains clichés. C'est donc dans un esprit d'exploration que nous aborderons les formes poétiques japonaises: "se rapatrier par le détour du dépaysement" comme le disait Jacques Brault.
En vue d'une utilisation pédagogique, vous trouverez les principales caractéristiques des trois formes poétiques japonaises que sont le haïku, le tanka et le renku, ainsi que plusieurs textes de divers poètes d'ici et d'ailleurs.
Il serait peut-être souhaitable de préciser quelques termes de la poésie japonaise classique. Un tercet de 17 (5/7/5) syllabes est appelé haïku (le terme haïkaï est encore parfois utilisé pour désigner un tercet). Il y a aussi le tanka (uta ou waka) formé de 31 syllabes réparties en 17 (5/7/5) et 14 (7/7) syllabes. Outre le haïku et le tanka, il y a le poème lié ou renku (terme qui remplace renga, haïkaï, haïkaï no renga ou haïkaï-renga). Le hokku est en quelque sorte l'unité de base de la poésie japonaise; c'est l'ancien nom du haïku, le premier verset du poème lié ou encore un verset détaché.
HAIKU
C'est à Basho (1644-1694) que l'on attribue la fragmentation du tanka ou du poème lié (les opinions diffèrent selon les spécialistes), c'est-à-dire la pratique d'écrire un hokku sans souci d'enchaînement. Bien longtemps après Basho, Shiki (père du haïku et du tanka modernes, 1867-1902) donne un nom à ce "chaînon" isolé: haïku (haïkaï-hokku).
Qu'est-ce donc que le haïku? C'est un poème sans mots, c'est-à-dire très bref, un tercet d'habituellement 17 (5/7/5) syllabes. Il contient une référence à la nature (kigo), à une réalité non seulement humaine. Sobre, précis, subtil, dense, sans artifice littéraire, il évite les marques habituelles du poétique, telles la rime et la métaphore. Loin du grand souffle lyrique occidental, le haïku peut sembler anodin au premier abord; en fait, il est banal ou sublime, tout se jouant sur la corde raide tendue entre le poète et le lecteur.
Juxtaposition de l'immuable et de l'éphémère. Légèreté humoristique désamorçant tout pathos. Art du détail. Fragment de vie, de souvenir, de rêve. Lire et écrire des haïkus, c'est découvrir une conception autre de la poésie. Par son caractère unique, cette forme poétique permet à la fois la prise de conscience et l'expression de l'ici-maintenant; il ne donne aucun espace à l'abstraction, à l'élaboration des sentiments, à la rêverie. Le haïku est un poème concret, une poésie des sens et non des idées. Prenons quelques exemples pour illustrer notre propos. Dans les Calepins de Félix Leclerc, il y a des textes brefs dont la manière nous est habituelle, c'est-à-dire qui font appel à des notions abstraites.
Ce qu'il faut de saleté pour faire une fleur!
On court à celui qu'on aime
A celui qui nous aime, on marche.Tout s'use: les habits, les célébrités, les maisons, l'amour. La seule inusable: l'espérance.
D'autre part, il y a de petites proses qui, comme le haïku, sont des "illuminations", de simples faits quotidiens mais prenant une dimension autre.
Un bon signe de printemps: deux petits vieux qui ont posé la veste sur le clos et nettoient la cour avec des râteaux et font un petit feu.Elle avait perdu son collier de perles dans une touffe d'herbes. Croyant le ramasser, elle plonge la main sur de grosses gouttes de rosée.
Le vieux n'arrivait pas à trouver la monnaie dans son portefeuille pour payer le mandat poste. Une jeune fille l'aida, se souvenant de son père.
Et il y a de véritables haïkus.
Première neige cette nuit.
Mais la trace de tes petits pas est absente.
Ce temps-là est loin!Sous le vent d'un soir de novembre,
la balançoire du jardin berce toute seule...
Ce que fera celui des deux qui restera.Quelle solitude
dans la lettre qu'écrit à ses parents
le pensionnaire de dix ans!Une dernière remarque. Le haïku pourrait être un texte développé, mais il ne l'est pas et c'est là toute sa toute force évocatrice. Prenons un exemple. Gabrielle Roy dit avoir écrit la nouvelle "L'Enfant morte" à la suite d'un flash: "Mais pourquoi, pourquoi donc ce souvenir de l'enfant morte est-il venu m'assaillir aujourd'hui en plein milieu de l'été qui chante? Est-ce le parfum des roses, tout à l'heure, sur le vent, qui me l'a apporté?" D'une sensation qui peut être une expérience unique et, éventuellement, donner naissance à un texte élaboré recréant un certain univers, le haïkiste, dans son poème à la fois bref et ouvert, ne garde que le flash initial. C'est là son défi, c'est là son art.
HAIKUS JAPONAIS CLASSIQUES
Dans le vieil étang
Une grenouille saute
Un ploc dans l'eau!
Basho
Sur la cloche du temple
S'est posé un papillon
Qui dort tranquille.
Buson
Tout a brûlé
heureusement, les fleurs
avaient achevé de fleurir.
Hokushi
Sur les écrans de papier
Elles font des arabesques
Les chiures de mouches.
IssaUn superbe cerf-volant
S'est envolé
De la hutte du mendiant.
Issa
Sur mon chapeau
La neige me paraît légère
Car elle est mienne.
Kikaku
Sur mon chapeau
La neige me paraît légère
Car elle est mienne.
Kikaku
De bouger il n'a pas l'air.
Pourtant il travaille dure
Son champ, le paysan!
KyoraiUne fleur tombée
Remonte à sa branche
Non, c'est un papillon!
MoritakeCet automne
Je n'ai pas d'enfant sur les genoux
Pour contempler la lune.
Onitsura
Le voleur
M'a tout emporté, sauf
La lune qui était à ma fenêtre.
Ryokan
Que n'ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du prunier
Avec leur parfum!
ShohaQui se soucie de regarder
La fleur de la carotte sauvage
Au temps des cerisiers?
Sodo
Quand elle fond,
La glace avec l'eau
Se raccommode.
Teitoku
J'éternue
et perds de vue
l'alouette
YayuOccupé à transplanter les pousses
Il va pisser dans la rizière
Du voisin.
Yayu
HAIKUS JAPONAIS CONTEMPORAINS
Rivière d'été
le bout d'une chaîne rouge
pend mollement dans l'eau
Yamaguchi SeishiUn papillon
vole au milieu
de la guerre froide
Nakamura KusataoSoir d'automne
la marée emporte
les restes d'un grand poisson
Saito SankiHôpital pour maladies vénériennes
seule touche de fraîcheur:
la fiente des pigeons
Suzuki MurioLabourés
par les bombes
Où sont leurs os?
Sawaki KinichiMême le cimetière a brûlé
des cigales comme de la viande calcinée
sur les arbres
Kaneko TotaChaque pli de la montagne
elles les écoutent apaisées
Les oreilles enterrées
Takayanagi Shigenobu
HAIKUS QUEBECOIS
pendant ton sommeil
je joue avec les nuages
et tu n'en sais rien
Lisa Carduccidans l'aube indécise
des senteurs de foin coupé
embaument mes pas
Florian ChrétienNeigent des oiseaux
Comme des pensées
Sur des novembres blêmes
Cécile Cloutiersur les vitres
des traces de nez et de doigts
regardent la pluie
André Duhaimeseul le vieux fauteuil
de grand-mère nous attend
sous le saule en pleurs
Célyne FortinUne femme enceinte
Cherche sa monnaie dans la neige
L'autobus patiente
Eddy GarnierTrain du matin --
Entrant dans le tunnel
Tout à coup: mon visage
Marco FraticelliLa fin de semaine
de leur père
deux chambres vides
Dorothy Howardle bar est vide
le serveur lit son journal
je n'attends personne
Carol Lebelboules de naphtaline:
dans les placards
on range l'hiver
Marie-Christine MourancheSur le patio
mêlé au bavardage de l'apéritif
le cri du bois pourri
Robert MelançonUn souvenir vieil
informe la solitude
il neige à plein ciel
Alphonse PichéComme un athlète nu
ce bouleau dans l'aurore!
Félix-Antoine SavardLe ciel dans l'eau.
Les poissons se faufilent
sous les nuages.
Jocelyne Villeneuveombres sur le gazon:
les pieds de plus en plus froids
on parle d'anciens amis
Rod Willmot
HAIKUS FRANCAIS
premier fauchage
la rouille de l'année
disparaît dans l'herbe
Jean AntoniniChapeau de paille sur le nez
Un homme se gratte la main
Un chien éternue
Gilbert AubertCe bouquet de fleurs
aplati dans la grand-rue
pour qui était il?
Patrick Blanchele grand vent emporte
toutes les grandes pensées
les petites restent
Jacques Bussyle robinet fuit
un chien hurle dans la rue
soudain, ma fille tousse
Sam Yada CannarozziNappe de la cuisine
Immense damier
Pour une seule mouche
Pierre CourtaudSortant du sommeil,
la servante sent
qu'il neige, sourit.
Robert DaveziesOdeur de pourriture
près du banc
attendant l'autobus
Jean-Marc DemabreA moitié petite,
La petite
Montée sur un banc.
Paul ÉluardLe jeu du soleil
Sur le tronc du chêne,
Le temps d'un bonheur.
Eugène GuillevicDurant la sieste
nous étions ennemis farouches
la mouche et moi
Bruno HulinA petits coups de crocs
La mer mordille
Les jambes des baigneuses
Alain KervernL'escalier de bois,
Nous le montions ensemble.
Son écho me fait mal.
René MaublancPruniers en fruits
sur le chemin de l'école
Haleines sucrées
Jean-Pierre PoupasUne présence étrangère
dans la chambre vide --
tiens! la pluie
Kenneth White
TANKA
Le tanka est la forme poétique classique la plus ancienne et on la retrouve dès les premières anthologies japonaises; ainsi, il y en a 4,170 dans le Manyôshû (vers 760).
Le tanka est un poème à forme fixe construit en deux parties, la deuxième venant comme réponse, ou relance, à la première; cette première partie est un tercet de 17 (5/7/5) syllabes et la deuxième est un distique de 14 (7/7) syllabes, ou vice versa. Si ces deux parties sont généralement écrites par un même poète, il n'est pas rare de voir des tankas écrits par deux poètes. Le tanka classique n'était pratiqué qu'à la Cour impériale; il est toujours considéré comme la forme la plus élevée de l'expression littéraire. Poème lyrique, exquis, raffiné, il explore des sentiments "nobles", tels l'amour, la solitude et la mort, selon un ensemble de règles des plus sophistiquées.
Si les formes poétiques ont traversé les frontières du Japon et si le haïku est largement répandu en Occident, la pratique du tanka reste relativement rare. Il semble bien que le haïku, forme encore plus brève, ait fasciné davantage que le tanka. Qui sait ce qui serait advenu si, en 1905, Julien Vocance et Paul-Louis Couchaud avaient choisi le tanka au lieu du haïku pour écrire Au fil de l'eau, le premier recueil empruntant une forme poétique japonaise...
Bien que millénaire, le tanka reste toujours populaire au Japon même. A la suite du succès phénoménal de Sarada Kinenbi (Salad Anniversary, 1987), recueil de tankas vendu à plus de huit millions d'exemplaires, Machi Tawara, une jeune poète de 26 ans, a reçu 200,000 tankas de ses lecteurs et lectrices.
Voici quelques tankas de Machi Tawara. Je donne deux versions anglaises afin de souligner les difficultés de traduction et surtout de lecture. Il n'y a pas, à ce que je sache, de traduction française.
MORNING IN AUGUST
traduction: Jack StammThat's you.
Deciding that your song
for speeding headlong
along beachside roads must be
Hotel California.AUGUST MORNING
traduction: J.W. CarpenterAlways playing this song
you race along the seacoast road --
"Hotel California"
Into the space
between pale blue sea and sky
I stare fixedly
at you coming toward me
riding a surfboard.I watch you on yoursurfboard
poised between blueness
of sky and sea
Picnic on the sand:
that egg sandwich lying there
just lying there
untouched. Suddenly I find
it's been worrying me.Beach picnic for two --
thinking of egg sandwiches
never even touched
TANKAS JAPONAIS CLASSIQUES
À quoi comparer
Notre vie en ce monde?
À la barque partie
De bon matin
Et qui ne laisse pas de sillage.
Manzei
Les arbres eux-mêmes
Qui, pourtant ne demandent rien,
Ont frères et soeurs.
Quelle tristesse est la mienne
De n'être qu'un enfant unique!
IchiharaAu printemps
Où gazouillent des milliers d'oiseaux
Toutes choses
Se renouvellent,
Moi seul vieillis.
Anonyme
Lorsque vers le soir
Dans mon village de montagne
Chante la cigale,
En dehors du vent
Personne ne me rend visite.
Anonyme
L'éclair est fugitif
Qui illumine les épis
Des rizières d'automne.
Même pour un instant aussi court
Je ne saurais t'oublier.
AnonymeContre toute raison,
Que je sois endormi ou éveillé
Mon amour me poursuit.
Si mon coeur
Savait trouver l'oubli!
Anonyme
Parce qu'en pensant à lui
Je m'étais endormie
Sans doute il m'apparut.
Si j'avais su que c'était un rêve
Je ne me serais certes pas réveillée.
Ono no KomachiTriste et solitaire
Je suis une herbe flottante
À la racine coupée.
Si un courant m'entraîne
Je crois que je le suivrai.
Ono no Komachi
Ni matin ni soir
Je ne détache mes yeux
Des fleurs du prunier.
À quel moment
Se fanent-elles donc?
Ki no Tsurayuki
On sait bien que du lendemain
Nul d'entre nous n'est sûr,
Mais ce fut avant le soir
Aujourd'hui même qu'un homme
Nous donna tant de chagrin.
Ki no TsurayukiÀ mon grand regret
Je ne puis me partager en deux
Mais, invisible,
Mon coeur vous suivra
En tous lieux.
Ikago no Atsuyuki
Je ne t'oublierai pas!
M'avait-elle assuré
En me disant adieu.
Depuis cette nuit-là, seule la lune,
Suivant son cours, est revenue.
Fujiwara no Ariie
Même si tu prends un autre oreiller
Pour reposer ta tête
Garde-toi bien d'oublier
Le souvenir du clair de lune
Qui tombait sur cette manche trempée de nos larmes.
Teika
TRACES D'HIER
c'est moi sans barbe
sur cette vieille photo
mais elles ne me croient pas
c'est peut-être vrai qu'alors
j'étais quelqu'un d'autre
couverte de neige
l'auto dans laquelle
elle s'est suicidée
ce carnet d'adresses
devenues inutiles
il fallait les couper
les deux arbres de la cour
c'est maintenant fait
par la même fenêtre
la vue est tout autrejour après jour
l'agenda reçu en cadeau
me sert et s'use
de nouveaux vêtements
rangés parmi les autres
la rue de mon enfance
on y refait
les trottoirs
comme avant pleure
un enfant à tricycle
sortir prendre l'air
les oiseaux contre le vent
mes cheveux en broussaille
ouvrir le dictionnaire
oublier le mot à chercher
RENKU
Le poème lié est une forme étrange pour les Occidentaux. La première caractéristique du poème lié est qu'il s'écrivait avec la collaboration de plusieurs poètes réunis en un même lieu pour une séance d'écriture, ou plutôt pour une joute dans laquelle chacun intervenait à tour de rôle. En Amérique, un renku se fait généralement par téléphone, par la poste ou encore par courrier électronique.
Deux autres caractéristiques. La forme est fixe; le premier chaînon et les chaînons impairs sont des tercets de 17 (5/7/5) syllabes, et le deuxième chaînon et les chaînons pairs sont des distiques de 14 (7/7) syllabes. Traditionnellement, un renku est constitué de 36 chaînons, 36 haïkus en quelque sorte, et est appelé kasen. La construction est non linéaire et sans plan logique, chaque chaînon ne répondant qu'au chaînon précédent: ainsi, le chaînon "B" répond au chaînon "A", et, oubliant "A", "C" répond à "B". Un renku se donne à lire comme une suite, à la fois liée et indépendante, de tankas. Plutôt qu'au jeu du Cadavre exquis (jeu littéraire surréaliste consistant à faire composer une phrase par plusieurs personnes qui ne savent pas ce que les autres ont écrit), le renku se comparerait plutôt à une partie d'échecs, un jeu ouvert et tout en stratégies. Tout l'art du poème lié réside dans l'enchaînement et le jeu gagne en complexité selon le degré de connaissance et d'habileté des "joueurs". Comme le souligne E.R. Miner, le poème lié est un sujet d'étude d'au moins vingt ans! Si le temps requis pour la composition d'un de ces poèmes est de deux à quatre heures, le temps alloué à l'écriture d'un chaînon n'est que de quelques minutes.
Voici deux extraits de haïkaïs (1691) de Basho et des extraits de renkus d'ici.
PREMIERE AVERSELUNE DE L'ETEMême du milan
elle a lissé le plumage
première averseUne rafale de vent
puis les feuilles se reposent
Mouillant sa culotte
au passage du ruisseau
va de grand matin
Pour écarter les blaireaux
arcs de bambou sont tendus
Porte grillagée
de vigne vierge couverte
et la lune du soir
A personne il n'a donné
de ses poires réputéesA l'encre de Chine
il se plaît à dessiner
au déclin d'automneAgréables à porter
les chaussons de blanche mailleTout autour de lui
cependant qu'il ne dit mot
est silencieuxQuand apparaît le village
la conque de midi sonne
Dans la rue marchande
ah ces odeurs qui se mêlent
lune de l'étéQu'il fait chaud ah qu'il fait chaud
s'écrie-t-on de porte en porteA peine deux fois
a-t-on desherbé voici
déjà les épisLa cendre il fait tomber
une sardine grilléeDans ce coin perdu
l'on n'a jamais vu d'argent
ah quel embarrasLongues démesurément
les rapières par iciDans l'herbe touffue
les grenouilles vous font peur
pénombre du soirCherchant pousses de fuki
la lanterne s'est éteinte
L'éveil à la voie
s'est produit à la saison
des fleurs en boutonA Nanao en Noto
rude est la vie en hiver
VOYAGE PARALLELE D'UNE SAISON A L'AUTRE
les gris du printemps
au jour le jour et soudain
crocus puis tulipes
maison voisine à vendre
fête de mes quarante ans
ce gâteau aurait
plus de chandelles
que moi de cheveux
l'herbe du sentier se relève
après le dernier voyageur
aucune lune
sur la rivière en crue
odeur de grand air
la lessive terminée
à refaire dans quelques jours
LIENS
Raison, affliction, chanson:
parfois supportables,
parfois non.Parfois
sur un lac de voix
dans lequel flotte
le discernement.
Les voix surgissent
la nourriture remonte le courant
le poisson court
recette: carpe à l'européenne.Tous dupes
tous pris au piège
nés du plat même
où on nous cuit.
Soucoupe satellite: oreille
contre le sol
creusant, fouillant
courant.En déroute
les pieds ont un chant
au moins la terre
danse.
AU PETIT MATIN
Au petit matin
sous la pluie
le pavé luisant
fait des moires
Dans les flaques
tremblent les maisons
plus claires
Plus mouillées les ombres
aux yeux des hiboux
Que c'est étrange Venise
Montréal va s'éveiller
toute noire de gondoles
La folie revient
on dirait une nuit
blanche
À travers les larmes
le sommeil en haillons
se mêle au jour
peu à peu
sous les pupitres
quelques boules de gomme
de l'année passée
tous mes nouveaux étudiants
les mêmes prénoms qu'avant
au calendrier
ce qui ne change jamais
c'est le nom des mois
tu pars à la mi-automne
tu reviendras en hiver
quand on se revoit
on parle de toi de moi
et non plus de nous
gratter le premier givre
avec des ongles trop courts
ANGLE ST-DENIS ET STE-CATHERINE (Sylvie Demers, André Duhaime, Charlotte Lavertu, Marcelle Roy, atelier d'écriture, Montréal, 18 mars 1995)
un sac en papier
tout mouillé entre ses mains
et un goulot vertun vieux journal sur le banc
le vent l'emporte dans le parcà l'heure de pointe
les essuie-glace s'acharnent
sur les pare-brisede fines gouttes de pluie
et le soleil au traversle bouchon de liège
lancé vers la poubelle
rebondit par terresur le trottoir les pigeons
autour d'une croûte de pizzamurée dans la ville
je rêve à la campagne
en juillet l'étés'endormir sous un pommier
terminer quelques dessinsun air de folklore
soudain je suis étonné
de taper du pied
ALONZO, Anne-Marie, BLACK, Ayanna, DOUGLAS, Charles, MICHELUT, Dôre, MIRACLE, Lee et SAVOIE, Paul, Liens, Trois, Laval, 1990. BIBLIOGRAPHIE
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Texte de André Duhaime (Copyright © 1996)
Introduction - Haïku - Haïkus japonais classiques - Haïkus japonais contemporains
Haïkus québécois - Haïkus français - Tanka - Tankas japonais classiques - Renku - Bibliographie
André Duhaime: notice biographique éditée par CyberScol (Québec) et Anthologie Haïku
Publications, Littérature francophone virtuelle ou Sommaire de ClicNet
ClicNet, novembre 1996
cnetter1@cc.swarthmore.edu