belkahia chebaa melehi

souffles
numéro 1, premier trimestre 1966

abdellatif laâbi : marasmes
illustration : belkahia chebaa melehi
pp. 22-28


Reddition
simple parole d'allégeance
et la terre pâlit

sauf mais pas sain

l'écharde pille
ce tétard accuse
et d'abord contre qui léverai-je l'orteil ou le pouce

J'accuse encore
cette fois reddition
simple parole d'allégeance
c'en est trop
vaste vaste l'incendie vaste
et les bombes vastes
et ce maudit Archimède à la fenêtre
tourne tourne vaste séisme
explose jeunesse de baobab
tourne tourne la ronde du scorpion
et le suicide de l'arachnide
noir comme ma face
ou ce corbeau qui me veille
tourne tourne l'axe tourne
double
foule tessons de gouffres
facette double
tu meurs
mais ta place est une chaise électrique
il n'y aura pas de relève

A la poubelle poème
A la poubelle rythme
A la poubelle silence

le mot tonne
j'en suis la première victime
cependant je l'extrais
et le propulse
vers vous

J'accuse encore
et moi-même d'abord
d'être votre animal sociable
votre vache à petit lait
ce lucre sèche
parmi la terre
l'arbre
je m'y étends
et tourne tourne la manivelle des siècles
la décoction des armes tourne
MINÉ
notre globe est miné
la vie terrienne est minée
nos voix humaines sont polluées
quand tourne tourne les équations
les racines cubiques de missiles
Arrête-toi pont aérien de ruines
Cham bâtard
mouche-toi
tu pâlis aussi
et ma face brûle
comme une coriandre sèche
ma face qui ne me ressemble plus
ma face
tombe
grappe de fourmis et de crachats
ma face crie



Mon corps se soulève
un poème me tord
je l'éjacule
comme un foetus rance
je le détache
le dépose sous vos lamelles
vos lentilles détraquées
ce n'est vaccin que je vous sers
formules magiques ou vérités allègres

Seigneur donnez-nous notre lot d'absurdités quotidiennes
et préservez-nous de notre accablante liberté.
je vous émascule
dans vos fiertés d'époux
votre culture claironnante
vos babils de palier
vous enlaidissez mon texte
vous m'éteignez
vous me ramollissez
vous me disséquez en petites cérémonies
comment-ça-va-et-la-santé-c'est-le-principal
vous m'assenez vos fadeurs
vos façons de plain-pied
votre horizontale familiarité
vous me schématisez mes frères
mais vous souillez à peine mon tronc
j'ai des racines
un itinéraire souterrain de signes
un souffle d'éléments inconnus

Sortez de mon corps
hyènes à balafres
évacuez mon sang jaune de vos biles
sortez
à jamais salpêtres et poubelles
j'ai claqué ma vie
en aumônes
à votre oubli
je pars
je vous laisse ma carapace
mon appétit et mon langage quotidiens
je m'exile parmi vous
je me tais
je rentre ma colère
ma fraternité qui vous choque
mes mots qui s'usent à votre encontre
gèlent sous votre regard
des poèmes me guettent
complotent
          les charges
                    ma mise à mort



Il gèle
quelque part dans mon cerveau
une verrière se brise dans mes tempes
un peuple claque des dents
disons que des enfants meurent
qu'une femme avorte
qu'un mâle se prostitue
un cri m'arrête
blasphème jeté
aux entrailles du ciel
le cimetière se repeuple
de mains
Il neige sur des tombes
là quelque part
dans mon cerveau



vent fort
peuple un
tu explores mon histoire
tu t'exclus de ma rigide perception
marche
pendu ou  guillotine
branle
accroupi
       ta marche
mais navette corps
sue
   marche
         use
marche
     tais l'horizon
le pilori
      défais le langage
               forme le mot
reviens à moi
sarcophage en oubliettes
donne la main
serre le nombril
profère tes hérésies
              bave
je n'aime pas ta lune d'hommes bleus
écrase la recette
vent corps adouci
créneaux de citadelle
horde de forçats
cache tes doléances
truque ta faim
tes mégots d'espoir
ta risée au jour le jour
Rude et mienne
           bribe
quotidienne
tu viens de l'aube rabougrie
d'un entrechoc de siècles
et tu déclines ton nom
Pubère
calcul d'âges
tu ne concernes que ma liberté
tu ne saisis que ma liberté
tu ne me connais pas
mais reste
ne me plains pas
ne me plaide pas non coupable
ne trompe la foule
pour me blanchir



Toi
tu n'as qu'un jour
brumes de digues
arêtes de villes
tu dois parler
partir après serait facile
ils te lapideront
dis alors ce qu'un poignard peut suggérer
entre l'oeil et la plaie
raconte ce sang
qui s'évapore dans ton haleine
dis-leur
si ta portée romance
ou alors quoi
rêves-tu de paradis
de houris papillons
ou de petits anges ambroisie
Tu montes la garde
ta torche c'est le mot
qui explose dans tes artères
ne ricane pas
je suis sérieux
de ce sérieux plein de gaz
je m'enfle
pour éclater aux carrefours
                     aux puits
                            aux sources

Ainsi polluer
          la vie stérilisée du monde

J'accuse encore
reddition
simple parole d'allégeance

mais cette humanité m'indiffère
dans ses copulations
ses dermes à fleur de peau
ses coïts entre deux biftecks
Peuples sans mémoire
                 aucune
peules de mâchefer et de grésil
les miens sont musclés
la peau sombre
et le derme calleux
et tourne tourne la noria
d'un temps nul
tourne tourne l'arbitraire des saisons
tourne vaste vent de criquets
des loques
le typhus
le trachome
les bâtiments se taisent
quand tourne tourne la mort
dans les ruelles
boueuses
comme ma face
dépossédé de cette face
qu'une taupe a nuitamment souillée
ma face
multipliée dans toutes les faces
qui crient
la voix du ventre
du sexe
et d'une dignité blême
non-écrite
qui rode
dans un bombardement naïf
de frondes



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