souffles
numéro 1, premier trimestre 1966

mostafa nissaboury : exorcisme, poème
pp. 29-31


Mais les ramages, les racines à qui sont ces pommes, ces figues et ce nopal
à qui cette toux sale
et ces crachats dans la mémoire.
Je connais cet aveugle
et cet autre homme fouillant dans mes hargnes
mes lunes et mes timbales je te les donne
je ne veux pas de ces rêves où l'on étrangle des chiens poitrinaires
où l'on fume du kif à la santé des douleurs
tes kifs sentent la peste tes kifs sont un marécage de fièvre
et moi j'ai mes légendes
j'ai mes talismans contre le désespoir
va-t'en
mon nombril
on le noue de morts jamais connus
de morts stupides
alors qu'il me faudrait tous les oiseaux d'Afrique
tous les fleuves d'Afrique
mon Afrique à corps de sphinx et qui est jeune belle
non la bâtarde l'Afrique de Tschombé à casque américain
et qui se nourrit de porc et de lézards
je te dis
que tu pouvais laisser mon cri comme un coq imbécile perché des siècles
sur un arbre
et serait restée mâle ma détresse nous aurions été comme tous ceux qui doivent un jour
respirer à pleins poumons sable et tempête
mais que sais-tu de mes haines de mes impraticables fleuves de haine
de mes montagnes de haine
tu restes terre et vient mourir dans mes rêves
un prince aliéné le corps torturé d'abeilles
debout j'ai dit
pas les vents frappés de cécité
ni ces complots dans mes tumeurs dans mon foie menstrues ces viols
moi nomade
je guéris par écritures de sable
parle
mais d'une terre qui reste aux flancs comme une âme promesse
parle
mais poésie
comme cénure la malaria
quelle douleur fut jamais mienne si ce n'est
maisons closes lits défaits
que fait-elle encore dans mon désert
cette putain d'exil
avec ses caftans ses bouquets de kif
tu dis sang tu dis rêve
et c'est pour moi le grand sud en clameurs diluviennes dans tes matrices
ce sud de marées
ce sud de siba
tu cries mon nom à tous les chemins ici on lapide un prophète homosexuel
il n'y a pas de vent
il n'y a pas d'étang
salauds tous les arbres
je dis bien
de part en part dans tes lunes un javelot numide
et tes mouches et ce safran et ce chacal
et cette mort que porte le bédouin inscrite sur la main
ouvre tes jambes la mort
je suis un chien mort-sang mort-lune mémoire exsangue je suis chien
je ne veux pas à ton passage de chapelet qu'on égrène ni mosquée de déluge ni méandre rien absolument rien
moi tumulte moi la foule moi la ville moi mendiant sur les grèves de l'histoire
la ville jetée à ses défaites
moi
le sang
moi
la foudre
moi les clameurs du sang désormais vappes de rat
tu pourrais me donner la mort
dehors une légende
puis la nudité cailleuse de ta mémoire
moi drogue
et ce n'est pas fini les tortures
il y aura ce Congo
puis moi jusqu'aux caroubiers fossiles de ton sexe
d'orage
métamorphose
moi le meurtre
Tant pis si je hais la lune
je suis celui qui parle toujours de voyage
on ne m'a jamais prêté de brosse à dents
(Salut mon ancêtre j'ai les mains pleines de varices)
Il me plaît de haïr la lune de cracher dessus comme un dément
il y a dans mon âme
des caravanes
d'interminables croisades vers la vengeance
et j'ai dit tout le monde a dit
que la tristesse de l'homme était la plus forte
était sans limites. Aujourd'hui
j'ai besoin des yeux d'un enfant perdu
non pas la lune quand elle se lève innombrable au sud
des yeux primitifs
afin d'y crier la solitude du coeur
y connaître la genèse de cette Afrique bruyante et pleine de gestes
qui tord dans ses poings les destinées
pas la lune mièvre des chants andalous
mais les yeux d'un enfant égaré
avant qu'on ne l'assassine et qu'il ne revienne dans mon rêve
avec des roses de sable des chants inoubliables
l'homme que l'on découvre aujourd'hui est le même qu'on attend
dans les ténèbres de l'esprit
dans une poignée de terre oui j'écoute la voix des siècles
je lis les tempêtes
(Salut à toi mon ancêtre j'ai les mains pleines de varices)



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