souffles
numéros 10 et 11, 2e et 3e trimestre 1968

souffles : prologue
pp. 1-3

 

En réunissant dans ce numéro de SOUFFLES un certain nombre de situations de la jeune littérature maghrébine d'expression arabe et française, nous n'avons aucune prétention de réaliser une nouvelle anthologie littéraire. Ceci aurait été d'ailleurs contraire aux principes mêmes qui ont guidé jusqu'à maintenant l'action de notre revue.

Pour une littérature en gestation, s'affirmant quotidiennement dans les contradictions, la contestation et la lutte, une anthologie reviendrait à la pontifier, à l'enfermer dans des cercueils dorés et des réseaux d'immobilisme.

Nous n'avons pas non plus la prétention de présenter une sorte de contre-anthologie pouvant avoir l'allure d'un manifeste d'école ou de groupe. Nous ne cachons pas qu'il y a de profondes divergences entre certains écrivains publiés dans ce numéro, tant sur le plan du contenu de notre future littérature, que sur le plan des problèmes de l'écriture ou des options intellectuelles et idéologiques de l'écrivain.

D'autre part, certaines options et exigences qui ont guidé notre travail concernant la littérature d'expression française ne pouvaient logiquement pas être appréhendées pour le choix des textes en arabe. Différence qui ne vient nullement à notre avis d'une rupture radicale entre les deux situations et modes d'expression (comme certains veulent le faire admettre), mais simplement du développement historique spécifique et des données linguistiques propres à chacune de ces situations.

Par cette confrontation des productions littéraires dans les deux langues, nous voulons remettre en question une dualité artificielle qu'on tendait jusqu'à maintenant à approfondir et instaurer par la même occasion un débat, un dialogue que beaucoup ont cherché à éviter par mauvaise foi ou par intérêt.

Il n'en demeure pas moins que la matière de ce numéro a été le fruit d'un choix inévitable. Le but étant de présenter le plus objectivement possible au lecteur une somme de situations, de voix, de préoccupations de groupes ou d'individus qui se sont relativement affirmés depuis quelques années, la plupart en rupture par rapport à la littérature de l'ancienne génération, en tout cas, avec la volonté de remettre en question (d'une manière plus ou moins nette, radicale, consciente, chez les uns et les autres) un acquis littéraire et culturel, certains rapports étroits, aliénants ou dépassés dans lesquels s'empêtre depuis les indépendances la littérature tant d'expression arabe que française. Il va de soi qu'un tel choix ne pouvait être que provisoire et incomplet, vu les moyens réduits dont dispose la revue, vu les difficultés de contact entre écrivains des trois pays, parfois entre écrivains à l'intérieur de nos pays respectifs. (1)

Mais s'il y a des omissions dues à ces raisons matérielles, il y en a d'autres qui sont volontaires et qu'on doit interpréter comme une prise de position nette de notre part.

En effet, est pour nous littérature jeune, celle qui rompt réellement avec tout anachronisme, celle qui apporte des contenus et des formes d'expression neufs. Il y a, par contre, nombre de jeunes écrivains vieux, c'est-à-dire acceptant le psittacisme mental d'une littérature fossile. D'autre part, toute littérature ne saurait valoir à nos yeux que si elle est profondément engagée dans la lutte culturelle, que si elle rejoint le combat national dans son ensemble. La littérature des bouffons, des artistes-esclaves et des agents de répression culturelle qui pullule, déguisée parfois sous des slogans de mobilisation démagogiques, ne nous concerne que dans la mesure où nous pouvons la démasquer et la combattre.

Ce faisant, le groupe de SOUFFLES, est donc conscient de la responsabilité qu'il prend en publiant ce bilan provisoire, en mouvement, de notre littérature.

Son espoir est de contribuer par là à une clarification des problèmes et de promouvoir un débat devenu urgent sur la fonction de la littérature dans nos pays, sur les obstacles (linguistiques, économiques, politiques) qu'elle doit surmonter pour exprimer en toute liberté les réalités et les aspirations profondes de nos peuples.

Son espoir est aussi de développer le dialogue entre les jeunes écrivains eux-mêmes afin qu'ils puissent confronter leurs expériences, sortir d'un silence et d'un isolement qui ne profitent qu'aux fossoyeurs de la vérité.
 

SOUFFLES

1La plus grande lacune étant, comme le remarquera le lecteur, l'absence de textes algériens et tunisiens en arabe.
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