mohammed bennani

souffles
numéro 2, deuxième trimestre 1966

mohammed khaïr-eddine: sangs (extrait)
illustration: mohammed bennani
pp. 13-15



je m'esquive et ce n'est pas par inadvertance que le sang m'extradie je vais aux tumultes des villes sans vrai nom et partout je piétine des nuages d'atomes sur toutes les lignes téléphoniques se posent des astres malintentionnés et des trombes je ne t'adresse la parole que parce que nous demeurons inséparés tu dis nous sommes inséparables nous sommes séparables que je rétorque moi assermenté à l'heure même où je fus assassiné je t'ai construit à ma décence selon l'adresse des pièges sans rien omettre de la magie du vaudou détrôné par l'européen aux dents si affûtées aux mains si longues à la science de saurien souriant le père des pères du vieux poisson fabriqué par la vieille tarentule sacrée devant le père des pères et la mère des pères je ne t'ai pas fait à la mesure de Dieu pas érigé à la hauteur du globe je t'ai donné ma voix nous sommes quittes dis-tu et j'objecte je me réclame d'une civilisation de mangoustes et de cérastes anarchiques je ne connais pas l'Asie ouï-dire et les gros livres les phrases les rimes les coups d'états les soulèvements du coeur le sang comme un rosaire dédié aux insurgés politiques de mon sang coupant souffle et vivres à qui veut en être arrosé bien sûr que je disparais sang-bûcher sang-essence sang-bagarre le sang croyez-moi je vois nettement la mauvaise conduite des sangs et des yeux leucémiques je ne passe pas sans remarquer les barrages du sang le sang et la sardine noire du sang j'ai assisté à des saignées pratiquées par la nuque et le pubis c'était sur un trône de schiste et sur le vide mitoyen du délire la vieille fille aigrie par les travaux des champs et par tous les puits qu'elle avait creusés enfonçait jusqu'à la tête dans la pierre et riait à demi-somnolente tandis que au-dessus d'elle et à même elle la doctoresse dessinait le déluge la fumée la neige la guerre la mort était présente je me disais a-t-elle un coeur de sang un corps capable de me charmer c'était faux la mort avait plutôt de longs cheveux gris la mort était toute noire cheveux très pointus la mort pas décrite la mort du sang invisiblement tapie dans le débarras de nos tristesses de nos foudroiements je l'ai serrée contre mon âme je lui ai donné mon coeur elle en a fait un oiseau qui l'accompagne partout où elle assassine et dévêt où elle mange et se saoûle la mort a des intentions favorables la mort justifie sans punir et nous fîmes l'amour sacré sans que je sache pourquoi je lui ai fait un excellent gâteau avec mon sperme et mon sang farineux elle n'en oubliera pas mes caresses mes reste-ne-pars-pas-je-suis-ton-époux-tu-es-ma-Grande-Elue
pas de sitôt en tout cas elle reviendra peut-être une nuit et ce n'est pas de mes viscères qu'elle surgira elle applaudira me hélera oh Maître comme César oh Hibou comme le flibustier ou la Tornade viens que je t'empoisonne viens que je t'habille d'une toge blanche et délirante ah oublier ne plus croire aimer mourir au compte-gouttes jalons piétons automobilistes cyclistes rois marrons écrivains logiques douanes razzias le soir ouvre les cafés les ampoules bouffent du soleil l'homme se gâte le foie on me rapièce le sang j'ai mal où je rougeoie on me voit courir sous les tentures et les tables en coulée de magma j'infecte la mosaïque je lacère les canapés je casse les fleurs bouche les W.C. je ne respecte pas l'argent qui tombe des poches trouées de ces pauvres gars qui ont peur de toi mon sang iguane et moi toujours questionnant mon sang que je traite de voirie urbaine de rat pesteux d'épidémie de lunes malodorantes de négation de tout ce à quoi on est heureux et avide de s'aggripper pendant la pluie quand la houille coûte autant que le sang mon sang vomi mon sang qui ne va pas aux homards des deux lingots d'encens plein les moustaches et la coupe à l'Italienne mon sang qui boîte écorne fait vieillir mon sang vaurien mon sang ordinaire mon sang tergal d'hiver où j'apprends à me cacher à mieux compter le verglas et la grêle mon sang trottoir mon sang bâtard docile et retors pas chien de salon pas pour les dames au sourire de cuivre rouge le vrai sourire d'héliante c'est toi sang décent qui dérapes toujours vers les racines du désordre mon sang lèpre mon sang comme Saint-Just sur l'échafaud mon sang tu trembles mon sang tu sacres un vrai malfaiteur mon sang tu flingues mon sang tu as l'oeil terroriste mon sang tu as fui d'une gibbosité de main de maître empierrée mon sang dans quoi tintent des chaînes et des vraies cloches de palais mon sang qui passe une mauvaise après-midi et qui passera une mauvaise nuit et un lundi de rides mon sang tu ne gagnes pas aux loteries mon sang tu traînes ta sauce juteuse giclée d'un fond de sève d'astres égorgés sur le silex et le caroubier sur les dernières volutes du vertige et d'un renoncement remis mon sang tu écoutes l'abîme et les vétérans qui savent bien prononcer les mots usine boîte de conserves et mandat-carte mon sang tu n'as pas compris que tu dois faire tes ablutions comme un bon musulman mon sang je dois crever un jour je claque les portes de mon sang je perds dans ses marasmes le Rubis des rubis le Sang des sangs et le pire des pis mon sang éditeur mon sang je m'exile avec des tonnes de tourterelles et d'ivoire


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