souffles
numéro 3, troisième trimestre 1966

bernard jakobiak : anti-procès verbal
pp. 41-43


I

Je constate
je n'en bâtis pas un système au sommet duquel je NOUS place
je constate
        mais qu'un chat me prenne pour un chat
pis encore une chatte
qu'un chien veuille pour mon bien m'imposer sa vue de chien
qu'une grenouille me reproche mes poils
qu'un corbeau me vante la charogne ou un lion
les entrailles chaudes d'une antilope NON
Et pourtant voilà où nous en sommes
dans les manuels scolaires les cénacles les tables rondes les programmes de n'importe quel parti
Il n'y eut jamais
             que la prise du pouvoir
par une certaine façon d'éprouver
par une certaine espèce dans cette physiologique espèce qu'on dit "humaine"
il n'y eut
        il n'y a pas
                d'"humanisme"
qui ne soit ce despotisme
Alors ? eh bien alors c'est
la sauvage sauvegarde contre toute emprise
                    de ce "je ne sais quoi" ou "...pas"
c'est pareil - qui donnerait à tous les révolutionnaires raison
s'il était accompagné de la force native sans quoi il avorte
Je ne reproche rien aux avortés
sont-ils des avortés ou des victimes d'un modèle des séparés d'eux-mêmes des fragmentés
des engloutis ?
je ne suis pas une compagnie de sauvetage
je reproche de moins en moins je plains de moins en moins
ne verse pas une larme sur les dominicaux morts de Pâques ou du mois d'Août
je ne suis pas chargé de l'ours ni du ténia
je ne suis pas chargé de l'air que je respire
mais je suis pour le changement
car il peut réveiller ceux qui seulement dorment
ce sont les seules victimes !
Il y a des coriaces
               des forces congénitales inavortables
                                            des vies

elles sont rares elles viennent
dans n'importe quelle race clan secte langue
elles absorbent tout cela contiennent tout cela ne sont pas contenues ne sont explicables
imitables
        des vies

J'ai salué les doux Me faut il un interlocuteur Je n'ai pas le vertige
même différents même opposés nous nous reconnaissons
                                       quelque chose
                                              un influx
comme d'un même feuillage
mais ce serait d'un arbre aux mille millions milliards de racines
de troncs

nous nous reconnaissons
nous négligeons l'absence
et le monde est peuplé
mais sans aucun pardon pour intégrer les restes
cette fraternité de mousse et d'aloès de chenilles et de ciel de cascade et de poux
nous lâchons les béquilles
                     des vies
elles contiennent
              tout ce qui sur Terre vit.


II

Il y a cependant les affiches qui gueulent
qu'on ne voit même plus
qu'on ne veut même plus
                    arracher
il y a
      la longue pompe aspirante des routes à grand tirage qui font qu'on ne sait plus
s'arrêter
      sauf dans des vapeurs d'huile et de gaz brûlés
il y a
     l'horreur à la terrasse des monuments aux morts
                             qu'on ne veut même plus
voir sauter
il y a l'arrêt fixe au poteau des vacances panorama prévu et masque à oxygène
donné pour de l'air pur
il y a la donzelle en short monoprix étendue dans les champs en gueulant transistor
il y a en hiver le cinéma qu'on prend le disque qu'on rabache
le sourire chewing-gum de l'idole neuve icône pendue au front du lit
il y a ces cervelles bourrées dès les 6 ans de fausses certitudes
il y a ces regards par millions satisfaits fascinés avalant sans en rien rejeter
la voix sortie des lèvres de mannequins payés
C'est à vous que je parle
vous que j'ai coudoyés dans l'anonymité
                                 usante
sous  l'uniforme   l'informe   la  masse  accélérée  en  descente  d'objets
je vous ai vus ramper je détournais les yeux je vous voyais vous mettre en boule
dans votre coin
             n'être plus
qu'un manche de balai une manivelle
un tout ce qu'on voudra pourvu qu'on ne perde pas ce qu'a pas le voisin
vous atrocement plats devant l'autorité des hommes et "d'un état des choses"
je n'avais rien à perdre
la preuve est que la vie m'a emmené au lieu
où jouir et donner s'unissent on un seul mot
nous n'avons rien à perdre
vous haussez les épaules
vous craignez de laisser paillasse pour bois dur et haricots pour fèves
vous comptez votre paie
votre tendresse, vos joies les voilà enterrées verrouillées
empêchées de nuire n'est-ce-pas de changer quelque chose    Vous
mis hors-course dévalués et qui nous expulsez
S'il en est parmi nous échappés par la drogue
s'il en est parmi nous fous à lier
s'il en est revenus comme vous résignés
c'est que vous nous manquez
c'est que toute richesse non risquée en plein jour atrocement nous manque
une harmonie se nomme
elle est très exigeante
                 elle n'est pas encore
                                  née
elle vous demande.



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