souffles
numéro 3, troisième trimestre 1966

el mostafa nissaboury : l'anachronique son sablier
pp. 44-47


Moh Moha Moha Moha dans une camisole à petites rayures. La fin du monde une affiche qu'on a collée juste en face de la boutique. Plus loin un filet rouge des yeux roulant leurs globes plus d'air de l'asphalte et l'homme dedout dans la symétrie du désespoir. Si tu arrives à agiter le bras regarder quelque chose. Toutes les veines lui pendent des membres et du nez traînent au sol pendant qu'un grand hôpital brûle dans un cerveau. Le chien qui le suivait est à présent sous son bras. Le chien lui dévore les côtes et lui le regarde manger manger et sortir indéfiniment une tête de cafard et de chameau. Le chien rêvait. Lui aussi rêvait d'une petite rue où chacun travaille et meurt pour son compte dans la mémoire une agence de voyage des affiches publicitaires des tracts du vent de la rougeole. La ville est une agraffeuse mais la ville reste dans une inconstance molle d'étoffe de soie qu'on déchire. Ça l'obsédait et il ne manquait jamais de citer le nom de son grand-père chaque fois qu'il se levait chaque fois qu'il s'asseyait chaque fois qu'il avait honte soif marre et envie de coucher avec la princesse. Ceci est juste. Ceci est vrai. Si je ne m'étais foutu cette putain de Fatima sur le dos avec ses pets de gosses oui l'affre des rougeoles les banques alors oui j'aurais certainement appris autre chose sur mon foie. Et voilà. Il ne reste plus qu'à prendre son thé froid et du kif noir pour éloigner les mauvais esprits des égouts. Je voudrais que toutes les villes ne soient que d'énormes égouts donnant sur d'autres égouts et ainsi de suite jusqu'à ce que je cesse d'être hostile au monde. Qu'importe. Tu t'es procuré des lunettes de mer et tu as fait le voyeur avec un agenda de 1950 où un officier français tenait sa comptabilité pendant mille ans tu n'as fait que lire et relire cet agenda avec les mêmes lunettes de mer et tu as dit je ne suis pas heureux si je ne suis pas heureux je suis éternel. Puis le café Mostafa. La juive fricpouilleuse qui tenait un bordel en médina. J'y suis allé avec une djellabah rouge et la choukara pleine à craquer. L'Hajja L'hamdaouia la potence des foules les cartes espagnoles les petits bateaux de paille. Je ne me souviens plus de rien. Elle était grosse rancunière et me disait mon amour en français. Mon amour. Où sont les nuits qui. Il manque fatalement le vieux qui vendait le fenugrec le sable les mouches cantharides venez les cons venez les impuissants. J'avais mille ans. Dans l'ombre la prostituée avec ses canouns. Donne-moi ce révolver que je puisse descendre la lune. Donne-moi des armes automatiques et je te livrerai ma conscience dans un plat de homards. T'aurais dû t'apercevoir que tout ceci après tout n'était qu'un rêve. Un rêve la mort qui promène ses gonzesses un rêve elle longue fine avec des crotales. Dans le petit café maure les fils de H'mad Ou Moussa et s'ouvrir les veines dans la rue basse de plus en plus basse de telle sorte que sexe-mémoire une conscience lourde et pénible de passeports pour la clebomanie et le sang le sang encore plus lourd sans coriandre ni figues sèches. Mon amour. Dans un désert mon amour comme un petit oiseau atomique. Le bordel de la juive lui était là. Un vieil immeuble de deux étages sans porte volets fermés. Des tonnes de sable. Pas de soleil pas de vent un ciel gris l'immeuble gris et la juive à la terrasse agitant une queue de chien cheveux pointus. J'ai appris par la suite qu'elle était partie en Palestine. Mais la route me monte brusquement par les pieds et je demeure immobile. Elle m'arrive à la tempe et je descends un mokaddem car je suis de la main noire. J'avais trois mille ans un thé crépusulaire par où montait le boulevard comme un champignon. C'est absurde de tenir absolument à ce qu'on vous comprenne. Moi mon C'mandarr je suis un héros je suis marocain arabe mangeur de foies ennemis. Aie avec moi la langue sucrée et tout ira bien. J'apprivoise aussi des serpents et je fous le camp en France loin de ce bled noir. Dans une main un oeil et tout autour serpents et scorpions. Mon frère mon frère impitoyable. Le discophone est imperceptible le sang monte quelque part avec de gros cailloux de la vase et des mains suspendues aux branches dans une démêlée de cris de gosses non je resterai de l'autre côté de la rue où le chien réapparaît tout petit dans un silence d'huile. On a enterré la grand-mère et le fkih avait des yeux rouges et larmoyants. La mère avait beaucoup pleuré et lui arrivait à peine à comprendre la mort qu'on dit pourtant belle avec des cheveux verts. Un homme à djellabah lui avait tendu une figue sèche et il l'avait tout de suite avalée en regardant longuement sa petite soeur à côté de lui. Cette nuit-là il avait mal dormi et on lui avait préparé une mixture spéciale contre les insomnies. De l'autre côté de la ville le cimetière était chaud. Non je resterai derrière ce cortège d'hommes et de femmes qui chantent. Ils chantent chantent ils sont presque nus avec de gros poils sur le ventre et sur le dos lui se met à maudire les poteaux électriques en gesticulant. Un gosse le regarde mais ne rit pas il a plutôt cessé de rire qu'importe d'ailleurs tu t'es placé sur la terrasse et tu as vu les balles traverser les tempes tu es devenu un homme au nez tatoué. Il s'est paraît-il saoulé une fois et dormi trois jours de suite avec une femme qu'il avait marquée de ses ongles et de son sang. Ha. Il se dit qu'il était une fois un puits avec une main la main mangea le puits qui devint une main qui redevint puits que le puits n'était plus le même quand la main redevient la main et le puits sans puits que tout cela lui importait peu qu'il était seul sans passé incapable de réfléchir oui pourquoi pourquoi ne serait-il pas sa mère son père et leur stérilité pitoyable. Ha ha. Le fkih lui avait donné une espèce de petit roseau de la dimension d'un annuaire et il avait rêvé de sa mère et de soeur avec lesquelles il s'était marié pendant qu'une vieille femme brandissait sur sa tête une canne longue avec cinq francs de menthe à l'extrémité. Il lui a également recommandé de tenir le dos tourné au soleil. Mais puisque c'est la fin du monde soleil ou pas les roseaux sont les mêmes les maisons les mêmes la même histoire le même vieux qui revient se suicider devant un autre vieux se grattant avec de petits rires atrophies. Le fkih était vraisemblablement maître des esprits souterrains il se sentit soulagé comme après un long voyage. La ville à perte de vue. Un homme fait danser un singe. Le singe imite les vieilles femmes les officiers francais les prostituées les caïds et les fils de H'mad Ou Moussa

c'est Kaddour que je regrette
laissé mort dans la rue
Allah Allah...

Le dos tourné au soleil. Il n'y a pas de soleil. De gauche à droite des soleils avec des têtes de hibou légèrement inclinées faisant tinter de minuscules morceaux de ferraille. L'Hajja reprend sa chanson désespérée. Donne ta main au bourreau. Ha. La mienne est épileptique. Je sais. Tu n'as pas mon histoire. Je sais. Pas de mal de tête. Je sais. Tu sais. Je sais. Les statistiques démontrent que tu peux rester au soleil et te multiplier me dénombrer me multiplier mourir facile je sais. Tu sais. Et les arbres. Pas d'arbres. Et Baghdad. Baghdad. Ah Baghdad. Et Damas. Oui le puits la main le puits.

la main
le puit
voilà
oui renégat
sérieux
le puits
profond
noir
blasphème
j'y suis
ho ho
oui
hou hou hou
non Sardanapale non mon vieux frère

Et à Marrakech les gens se lavent les testicules en plein public. Ah le geste sacré de l'eau de l'eau nous sommes les précurseurs de l'hygiène je sais. Marrakech la rouge. Tunis la verte. Et moi donc. Qui donc. Et la danse du ventre.

I love you
yé yé

La danse du ventre messieurs nous avons gagné la guerre oui nous sommes maintenant pacifiques nous aimons l'ordre les mausolées nous avons faim mais nous nous remettons au Bon Dieu qui ne nous oublie pas qui nous donnera la Palestine. Nous frapperons. J'ai dit de toutes nos lâchetés et nos nuits andalouses. Quant à moi je vous demande de ne plus rentrer par cette porte ni de sortir par celle-là restez où vous êtes vous aurez votre fric vos babouches neuves les jours de fête ils seront à vous ceux que nous appellerons désormais les chiens. Frappez et nous frapperons. Ceux qu'on allume dans les cierges si petits si fins si doux à la caresse ay je n'ai pas faim je suis sûr de ma longévité je parle comme les autres mais les autres ne sont pas comme moi il leur faut s'oublier s'oublier à tout prix.

Il reprend l'agenda sans oublier les lunettes de mer et se met à regarder la fenêtre d'en face. Un homme sort la tête et se met à cracher sur lui. Lorsqu'il eut fini de cracher il rentra chez lui. Autrefois on écrivait des phrases obscènes sur les murs de la nazaréenne c'est surtout à cause de ce rêve que ces murs ont changé de place de couleur surtout la main du fkih qui était méconnaissable il vocalisait des parchemins oh je n'ai jamais pu lire et puis il me disait ne te mets jamais au coin mais là devant moi alors les petits murs de l'école coranique avait des dessins étranges moi je croyais qu'on pouvait vivre de signes uniquement de signes. C'est que j'ai couru mais je n'ai pas pu rattraper le chien et la prostituée m'a dit qu'elle m'aimait que sa matrice lui faisait mal je cours encore droit vers un homme qui a soif quelqu'un frappe du pied contre le sol un, deux-trois, un, deux-trois-quatre, un, deux-trois, traduisant à la foule les tatouages et la foule le regarde en dégustant des nèfles. Alors une veine s'ouvre. D'autres deviennent ocres et grandissent au fur et à mesure de la précipitation du sang qui transporte une caravane et la dépose dans un pays rocailleux. Le sang veut donner une forme humaine à la globule qui s'arrête pour regarder dans la vitrine d'une membrane transparente. La forme humaine se précise mais est très vite dissipée car la lymphe est chassée par le vent, le vent les mares un W.C. rempli de sable et de plumages. Il tendit une épée à la princesse boiteuse qui rêve d'un prince boiteux en lisant des versets du Coran lui le prince boiteux a un turban vert et elle la princesse une kouba de jade. O mon royaume septième aigle sixième flèche et la terre au genou. La terre m'avale dit le prince. La terre m'éjecte dit la princesse. Je reviendrai mais pas aujourd'hui je reviendrai lorsque le dôme sera pourpre lorsque le dôme sera violet. Deux siècles plus tard le prince rend l'épée à la globule qui a deux yeux au cou car elle voit la galaxie et le va-et-vient des brisants. Tandis que la rue reprend son aspect d'il y a mille ans le sang descend des marches cailleuses un peu usées mais sentant toujours la fraîcheur des noyades. La caravane traversa le désert. On consulta un devin chétif le corps boursouflé de piqûres d'abeilles. Le devin dit corps trois fois corps et sortit d'une valise un continent neuf avec des arbres du soleil du cactus et des régions arides. Pendant qu'il étendait cette nappe multiforme par terre la veinule se referma et celui qui dansait jeta un cri et tendit à la foule un oiseau étranglé. La foule se dispersa avec un grognement sourd et se mit à prier le soleil pendant que Moh Moha Moha Moha saignait du nez pendant que des mendiants continuent à réclamer du pain pendant que le soc fait crier la terre pendant que la vallée du Dadès disparaît pendant qu'Atlantis bégaie joue aux cartes et bégaie pendant que la tornade rase la terre l'élève haut très haut mais oublie une mouche du côté du Pôle Nord.



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