souffles
numéro 6, deuxième trimestre 1967

avant-dire
pp. 3-4


      La guerre du Moyen-Orient vient de nous distordre. Le sang de notre génération ne pourra jamais rester froid devant cette guerre comme devant n'importe quelle boucherie du Viet-Nam, massacres dans les colonies portugaises, Apartheid et racismes, extinction des voix révolutionnaires qui, d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie s'élèvent, de plus en plus décidées, pour s'opposer à l'arbitraire et à la loi de la jungle d'un siècle prétendu humaniste et civilisateur.

     Nous ne sommes pas doués du rationalisme calculateur des politiciens ni de l'ardeur anesthésiée des idéologues. Notre haine de l'injustice ne peut s'extérioriser qu'en coulées viscérales de dégoût et de dénonciation.

     Mais nous ne serons pas (malgré toute la frustration que nous ressentons) cette fois-ci lyriques pour faire jouir les hyènes et les rapaces.

     Comme nous n'avons pas été bernés durant les journées de combat par les vulgaires mensonges de nos haut-parleurs radiophoniques et de nos presses confessionnelles, nous n'avons pas été non plus dupes et nous ne le serons plus jamais d'un monde prétendu libre qui n'hésite pas devant la première épreuve à troquer un racisme pour un autre, à se laver d'une culpabilité en se rendant coupable d'un nouveau crime de conscience.

     Les luttes et les guerres d'indépendance sont encore toutes fraîches dans nos mémoires. Nous en gardons les mutilations indélébiles. Aucun dossier, aucune main tendue ne nous fera oublier ce que fut l'oppression coloniale.

     Opprimés, nous le sommes toujours et nous risquons de le rester jusqu'à la déflagration universelle qui aura lieu si les puissances herculéennes qui se partagent le sort des terriens venaient à ne plus s'entendre sur leur statu quo.

     Nous savons que nous n'avons qu'un droit relatif à l'existence, à la décision d'être et de nous perpétuer.

     Réalité suprême de cette civilisation universelle au banquet sinistre de laquelle on ne cesse de nous convier avec sadisme.

     Cette guerre inhumaine n'aura été, en tout cas, qu'un succédané. Mais elle doit être une nouvelle occasion pour les peuples arabes comme pour l'ensemble des pays du Tiers-Monde d'être vigilants vis-à-vis de toutes les conneries-idéologies-humanismes abstraits qu'ils n'auront pas élaborés eux-mêmes et qu'ils n'auront pas payés du prix de leur lucidité, de leur recherche et de leur effort critique.

     La guerre a eu lieu. Les peuples arabes du Moyen-Orient ont payé non seulement sa lourde rançon mais ont compromis pour une longue période leur aspiration au développement.

     Aux tambours des chants patriotiques, aux crissements des ondes courtes, aux manchettes des journaux, aux discours et lamentations des pleureuses, que pouvions-nous reconnaître sinon l'empreinte des forces d'inertie et de réaction qui minent de l'intérieur les pays arabes pour masquer aux masses populaires leurs véritables problèmes en les maintenant dans une somnolence hagiographique.

     Dans des décennies, peut-être, nous saurons quels furent les véritables acteurs de ce drame et les responsabilités exactes dans cette duperie.

     C'est là, paraît-il, une règle de l'Histoire.


     Histoire bâtarde des manuels de nos petits-enfants.

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