À Bylakuppe, dans l'Etat du Karnataka en Inde du Sud, j'ai retrouvé les traditions tibétaines et découvert les monastères qui depuis les années soixante se développent au gré des arrivées d'une population exilée. Parmi cent mille réfugiés tibétains en Inde, vingt mille résident à Bylakuppe. La moitié sont des moines ou des nonnes attachés à sept monastères représentant les quatre courants du bouddhisme tibétain. Le plus important et celui de Nandroling, fondé en 1963, actuellement le plus grand centre au monde d'enseignement Nyingmapa (de nyingma = ancien, pa = courant). Le complexe comprend plusieurs temples ou gompas, des salles d'études, de prières et de méditation, des stupas et des moulins à prières, des logements pour les religieux, des bibliothèques, un hôpital et des bâtiments administratifs. Cinq mille religieux vivent, étudient et prient à Nandroling, plus connu sous le nom de "Golden Temple" en référence à une gompa de trois étages à la toiture dorée. Elle abrite dans sa partie la plus haute, le corps intact de Trichen Jurme Rinpoche, considéré comme l'un des plus grands maîtres tibétains, décédé ici, en 2008 et non réincarné au jour de ma visite. Son portrait est reproduit sur une bâche tendue contre la façade du sanctuaire. L'université monastique (NNU) ou Shedra, pouvant rassembler dans un seul espace deux mille cinq cent religieux pour les enseignements théologiques traditionnels, est le plus vaste des bâtiments du complexe religieux. Dans la grande salle au sol de marbre poli brillant, ornée de tankas sur deux niveaux, sont réunies sur un même autel trois figures de Bouddha de vingt mètres de haut. Différentes par l'expression, la posture et les attributs, elles représentent trois aspects de Bouddha servant de support à la méditation. Au centre, "Bouddha Shakyamuni", le fondateur du Bouddhisme, est assis sur la fleur de lotus dans l'attitude sereine de sa dernière méditation avant l'éveil. Il porte dans sa main gauche le bol des mendiants, tandis que sa main droite effleure la terre prise à témoin de sa sagesse suprême face au démon Mara. A sa droite, "Guru Padmasambava" ou Guru Ringpoche incarne l'ami de Bouddha, chargé de l'enseignement ésotérique du Bouddhisme Vajrayana ou Bouddhisme tibétain. Il a les yeux rouges et un aspect terrifiant, arbore les symboles tantriques : la coiffe des chamans surmontée d'un vajra ou foudre diamant, le dorjé, une dague redoutable à la lame triangulaire, la lance ornée de crânes. À sa gauche, "Bouddha Amytayas", ou Bouddha de la longue vie, a le visage apaisé et les yeux bleus. Il porte dans ses mains le vase contenant le nectar de l'immortalité Armita et la feuille de l'arbre sacré Ashoka symbolisant la naissance de l'Eveillé. Cette représentation de Bouddha est très populaire et se retrouve sur l'autel familial de chaque maison.
Tashilumpo est un monastère plus modeste construit à Bylakuppe en 1972. C’est une réplique de l'ancien monastère fondé à Shigatsé au Tibet en 1447 par le premier Dalaï Lama. En 1959, lors de l'invasion chinoise, il fut en partie détruit et sur les cinq mille moines qui y résidaient, beaucoup furent massacrés, d'autres envoyés dans des camps de travail. Environ trois cents d'entre eux ont pu fuir en Inde avec le quatorzième Dalaï Lama. Tashilumpo réunit ici, deux cent cinquante moines qui suivent l'enseignement bouddhique de la tradition Gelugpa (les vertueux), appelée aussi celle des bonnets jaunes. Aux trois déités support de la méditation, différentes de celles de Nandroling, s'ajoute le mandala (cercle en sanscrit), un diagramme coloré symbolisant l'univers et l'environnement spirituel des moines. Avec l'arrivée continuelle de religieux venus des régions himalayennes (Népal, Mustang, Zanskar, Ladakh) et d'autres camps de réfugiés en Inde du nord, le vieux monastère est devenu trop petit. Un projet ambitieux de construction de nouvelles salles de méditation et de prières, de logements pour les moines et d'une bibliothèque adaptée, est présenté aux visiteurs pour recueillir les dons. Le Dalaï Lama ainsi que de nombreuses personnes en Inde et dans le monde (bouddhistes ou non) participent au financement des constructions. D'autres apportent une aide à la vie monastique et prennent en charge les jeunes moines. A Tashilumpo, j'ai assisté à "l'adoption" par une amie irlandaise d'un moinillon de cinq ans. Il venait d'arriver du Ladakh avec un oncle enfui du Tibet. Confié aux bons soins des lamas et doté d'une petite bourse, il apprendra à lire et à écrire, recevra les enseignements bouddhiques basés sur l'étude de la logique et de la philosophie. Il deviendra sans doute un érudit, comme beaucoup de moines de ce monastère comptant une quinzaine de novices.
À l’occasion de la venue bi-annuelle du Dalaï Lama à Bylakuppe, trente mille personnes se rassemblent à Nandroling pour suivre ses enseignements. Sa Sainteté, qui rend régulièrement visite aux moines de Tashilumpo, loge au monastère de Sera, une autre réplique du monastère fondé au Tibet près de Lhassa en 1419. Ce sont deux monastères de l'école Gelugpa à laquelle il appartient.