L'Ecole des femmes

A Madame (1)




     Madame,

     Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre; et je me trouve si peu fait au style d'épître dédicatoire, que je ne sais pas où sortir de celle-ci. Un autre auteur, qui serait en ma place, trouverait d'abord cent belles choses à dire de Votre Altesse Royale, sur ce titre de l'Ecole des femmes, et l'offre qu'il vous en ferait. Mais, pour moi, Madame, je vous avoue mon faible. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées; et, quelques belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que Votre Altesse Royale pourrait avoir à déméler avec la comédie que je lui présente.

     On n'est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, Madame, ne saute que trop aux yeux; et, de quelque côté qu'on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l'esprit et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l'âme, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous: je veux dire cette douceur pleine de charmes, dont vous daignez tempérer la fierté des grands titres que vous portez; cette bonté tout obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paraître pour tout le monde; et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, Madame, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes; et ce sont choses, à mon avis, et d'une trop vaste étendue et d'un mérite trop élevé, pour les vouloir renfermer dans une épître et les mêler avec des bagatelles.

     Tout bien considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu'il m'est possible, que je suis,
     De Votre Altesse Royale,
     Madame,
     Le très humble, très obéissant,
     et très obligé serviteur,
     J. B. Molière.


(1): Henriette d'Angleterre, Duchesse d'Orléans (1644-1670)


Préface / Introduction à l'Ecole des femmes / Acte I, Scène 1
Le Malade imaginaire - Le Bourgeois gentilhomme (extrait)
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5 juin 1996
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