BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN BERALDE ARGAN
BERALDE
Je le veux bien, mon frère; et, pour changer de discours, je vous dirai, que, sur une petite répugnance que vous témoigne votre fille, vous ne devez point prendre les résolutions violentes de la mettre dans un couvent, que, pour le choix d'un gendre, il ne faut pas suivre aveuglément la passion qui vous emporte; et qu'on doit, sur cette matière, s'accommoder un peu à l'inclination d'une fille, puisque c'est pour toute la vie et que de là dépend tout le bonheur d'un mariage.
Le Malade imaginaire
Acte III
Scène 3 - ARGAN BERALDE
Vous voulez bien, mon frère, que je vous demande, avant toute chose, de ne vous point échauffer l'esprit dans notre conversation?
Voilà qui est fait.
De répondre sans nulle aigreur aux choses que je pourrai vous dire?
Oui.
Et de raisonner ensemble sur les affaires dont nous avons à parler, avec un esprit détaché de toute passion?
Mon Dieu! oui. Voilà bien du préambule!
D'où vient, mon frère, qu'ayant le bien que vous avez et n'ayant d'enfants qu'une fille, car je ne compte pas la petite; d'où vient, dis-je, que vous parlez de la mettre dans un couvent?
D'où vient, mon frère, que je suis maître dans ma famille, pour faire ce que bon me semble?
Votre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux filles; et je ne doute point que, par un esprit de charité, elle ne fût ravie de les voir toutes deux bonnes religieuses.
Oh çà! nous y voici. Voilà tout d'abord la pauvre femme en jeu. C'est elle qui fait tout le mal, et tout le monde lui en veut.
Non, mon frère; laissons-la là; c'est une femme qui a les meilleures intentions du monde pour votre famille, et qui est détachée de toute sorte d'intérêt; qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui montre pour vos enfants une affection et une bonté qui n'est pas concevable: cela est certain. N'en parlons point, et revenons à votre fille. Sur quelle pensée, mon frère, la voulez-vous donner en mariage au fils d'un médecin?
Sur la pensée, mon frère, de me donner un gendre tel qu'il me faut.
Ce n'est point là, mon frère, le fait de votre fille; et il se présente un parti plus sortable pour elle.
Oui; mais celui-ci, mon frère, est plus sortable pour moi.
Mais le mari qu'elle doit prendre doit-il être, mon frère ou pour elle, ou pour vous?
Il doit être, mon frère, et pour elle et pour moi; et je veux mettre dans ma famille les gens dont j'ai besoin.
Par cette raison-là, si votre petite était grande, vous lui donneriez en mariage un apothicaire?
Pourquoi non?
Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins, et que vous vouliez être malade en dépit des gens et de la nature?
Comment l'entendez-vous, mon frère?
J'entends, mon frère, que je ne vois point d'homme qui soit moins malade que vous, et que je ne demanderais point une meilleure constitution que la vôtre. Une grande marque que vous vous portez bien et que vous avez un corps parfaitement bien composé, c'est qu'avec tous les soins que vous avez pris vous n'avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, et que vous n'êtes point crevé de toutes les médecines qu'on vous a fait prendre.
Mais savez-vous, mon frère, que c'est cela qui me conserve; et que monsieur Purgon dit que je succomberais, s'il était seulement trois jours sans prendre soin de moi?
Si vous n'y prenez garde, il prendra tant de soin de vous, qu'il vous enverra en l'autre monde.
Mais raisonnons un peu, mon frère. Vous ne croyez donc point à la médecine?
Non, mon frère, et je ne vois pas que, pour son salut, il soit nécessaire d'y croire.
Quoi! vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde et que tous les siècles ont révérée?
Bien loin de la tenir véritable, je la trouve, entre nous, une des plus grandes folies qui soient parmi les hommes; et, à regarder les choses en philosophe, je ne vois point une plus plaisante mômerie, je ne vois rien de plus ridicule, qu'un homme qui se veut mêler d'en guérir un autre.
Pourquoi ne voulez-vous pas, mon frère, qu'un homme en puisse guérir un autre?
Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les hommes ne voient goutte; et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop épais pour y connaître quelque chose.
Les médecins ne savent donc rien, à votre compte?
Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser; mais, pour ce qui est de les guérir, c'est ce qu'ils ne savent pas du tout.
Mais toujours faut-il demeurer d'accord que, sur cette matière, les médecins en savent plus que les autres.
Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand'chose: et toute l'excellence de leur art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets.
Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous; et nous voyons que, dans la maladie, tout le monde a recours aux médecins.
C'est une marque de la faiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art.
Mais il faut bien que les médecins croient leur art véritable, puisqu'ils s'en servent pour eux-mêmes.
C'est qu'il y en a parmi eux qui sont eux-mêmes dans l'erreur populaire, dont ils profitent; et d'autres qui en profitent sans y être. Votre monsieur Purgon, par exemple, n'y sait point de finesse; c'est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu'aux pieds; un homme qui croit à ses règles plus qu'à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croirait du crime à les vouloir examiner; qui ne voit rien d'obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile; et qui, avec une impétuosité de prévention une raideur de confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose. Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu'il pourra vous faire: c'est de la meilleure foi du monde qu'il vous expédiera; et il ne fera, en vous tuant, que ce qu'il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu'en un besoin il ferait à lui-même.
C'est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais, enfin, venons au fait. Que faire donc quand on est malade?
Rien, mon frère.
Rien?
Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d'elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C'est notre inquiétude, c'est notre impatience qui gâte tout; et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.
Mais il faut demeurer d'accord, mon frère, qu'on peut aider cette nature par de certaines choses.
Mon Dieu, mon frère, ce sont de pures idées dont nous aimons à nous repaître; et, de tout temps, il s'est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu'elles nous flattent et qu'il serait à souhaiter qu'elles fussent véritables. Lorsqu'un médecin vous parle d'aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions; lorsqu'il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le coeur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d'avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années, il vous dit justement le roman de la médecine. Mais, quand vous en venez à la vérité et à l'expérience, vous ne trouvez rien de tout cela; et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.
C'est-à-dire que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle.
Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes.
Ouais! vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu'il y eût ici quelqu'un de ces messieurs, pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet.
Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine; et chacun, à ses périls et fortune, peut croire tout ce qu'il lui plaît. Ce que j'en dis n'est qu'entre nous; et j'aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l'erreur où vous êtes et, pour vous divertir, vous mener voir, sur ce chapitre, quelqu'une des comédies de Molière.
C'est un bon impertinent que votre Molière, avec ses comédies! et je le trouve bien plaisant d'aller jouer d'honnêtes gens comme les médecins!
Ce ne sont point les médecins qu'il joue, mais le ridicule de la médecine.
C'est bien à lui à faire, de se mêler de contrôler la médecine! Voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s'attaquer au corps des médecins, et d'aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là.
Que voulez-vous qu'il y mette, que les diverses professions des hommes? On y met bien tous les jours les princes et les rois qui sont d'aussi bonne maison que les médecins.
Par la mort non de diable! si j'étais que des médecins, je me vengerais de son impertinence; et, quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement; et je lui dirais: "Crève, crève; cela t'apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté."
Vous voilà bien en colère contre lui.
Oui. C'est un malavisé; et, si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis.
Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de secours.
Tant pis pour lui, s'il n'a point recours aux remèdes.
Il a ses raisons pour n'en point vouloir, et il soutient que cela n'est permis qu'aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie; mais que, pour lui, il n'a justement de la force que pour porter son mal.
Les sottes raisons que voilà! Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-là davantage; car cela m'échauffe la bile et vous me donneriez mon mal.