Je comprends qu'on est fâché de prendre tant de peine sans
apprendre les noms des plantes qu'on examine. Mais je vous avoue de bonne
foi qu'il n'est pas entré dans mon plan de vous épargner ce
petit chagrin. On prétend que la botanique n'est qu'une science des
mots qui n'exerce que la mémoire, et n'apprend qu'à nommer
les plantes: pour moi, je ne connais point d'étude raisonnable qui
ne soit qu'une science des mots; et auquel des deux, je vous prie, accorderai-je
le nom de botaniste, de celui qui sait cracher un nom ou une phrase à
l'aspect d'une plante, sans rien connaître à sa structure,
ou de celui qui, connaissant très bien cette structure, ignore néanmoins
le nom très arbitraire qu'on donne à cette plante en tel ou
en tel pays? Si nous ne donnons à vos enfants qu'une occupation amusante,
nous manquons la meilleure moitié de notre but, qui est, en les amusant,
d'exercer leur intelligence, et de les accoutumer à l'attention.
Avant de leur apprendre à nommer ce qu'ils voient, commençons
par leur apprendre à le voir. Cette science, oubliée dans
toutes les éducations, doit faire la plus importante partie de la
leur. je ne le dirai jamais assez; apprenez-leur à ne jamais se payer
de mots, et à croire ne rien savoir de ce qui n'est entré
que dans leur mémoire. 16 juillet 1772
Huit lettres élémentaires sur la botanique à Madame Delessert
Passage choisi dans "la Lettre cinquième"