Je vis dans une société d'émetteurs (en étant un moi-même): chaque personne que je rencontre ou qui m'écrit, m'adresse un livre, un texte, un bilan, un prospectus, une protestation, une invitation à un spectacle, à une exposition, etc. La jouissance d'écrire, de produire, presse de toutes parts; mais le circuit étant commercial, la production libre reste engorgée, affolée et comme éperdue; la plupart du temps, les textes, les spectacles vont là où on ne les demande pas; ils rencontrent, pour leur malheur, des "relations", non des amis, encore moins des partenaires; ce qui fait que cette sorte d'éjaculation collective de l'écriture, dans laquelle on pourrait voir la scène utopique d'une société libre (où la jouissance circulerait sans passer par l'argent), tourne aujourd'hui à l'apocalypse.
Roland Barthes par Roland Barthes. Editions du Seuil. 1979, p. 84.