souffles
numéro 2, deuxième trimestre 1966dossier cinéma: pour un cinéma national
pp. 24-27
Texte du rapport adressé à Monsieur le Ministre de l'Information en date du 20 Juillet 1965 et concernant le Centre Cinématographique Marocain.
I - CREATION DU CENTRE CINEMATOGRAPHIQUE
MAROCAIN ET DU SERVICE DU CINEMAC'est le droit administratif français qui a présidé à la création du C.C.M. et du Service du Cinéma à une époque où l'interventionnisme accentué de l'État s'est manifesté, autant au Maroc qu'en France sinon plus, au fur et à mesure que les thèses socialisantes prenaient le pas sur les principes du libéralisme.
Aussi bien, cette intervention de l'État dans le domaine de la cinématographie se justifie pleinement (et c'est même une nécessité vitale pour le Maroc actuel).
La production cinématographique nationale n'existant pas, il a fallu l'encourager et lui donner l'élan nécessaire.
Ainsi ont été créés le C.C.M. et le Service du Cinéma:
1- Le dahir du 8 janvier 1944 (et les dahirs du 15 mars 1945 et du 29 novembre 1949 qui l'ont complété) dispose dans son article premier: "Il est créé un Centre Cinématographique Marocain qui a pour objet la production, la distribution et la projection de films cinématographiques ainsi que la constitution d'une Cinémathèque."
L'arrêté résidentiel du 3 février 1944 (modifié par celui du 15 mars 1945) stipule qu'il est géré par un directeur assisté d'un comité consultatif de gestion.
2- Le Service du Cinéma est créé par l'arrêté viziriel du 3 février 1944 et "chargé de prendre toutes mesures ou d'assurer l'exécution de celles qui seront édictées par arrêtés résidentiels touchant la profession cinématographique au Maroc, notamment celles concernant les autorisations d'exercice de la profession, l'organisation des entreprises cinématographiques, le régime des spectacles cinématographiques."
La décision du Président du conseil en date du 7 novembre 1958 qui stipule que:
"Le Service du Cinéma, dont l'inspection administrative est sise à Casablanca, est rattaché à compter de ce jour au Centre Cinématographique Marocain"
ne fait que consacrer une situation de fait acquise de longue date et dont il serait superflu de parler ici."Mais cette décision d'intégration ne s'est pas traduite par une unification de textes et la dualité des législations s'oppose à une unité réelle et efficace de l'organisme qu'elles régissent.
D'autre part, il faut noter la vétusté de ces textes, devenus inapplicables et inappliqués depuis l'indépendance.
L'inexistence de nouvelles lois permet l'improvisation, l'installation du favoritisme, de l'arbitraire et la non définition des responsabilités.
En conclusion, une profonde réorganisation s'impose non seulement dans le souci de substituer un régime légal à un régime fait de coutumes et de pratiques que les besoins du fonctionnement ont imposé au Centre, mais dans le but de redonner à l'État les deux instruments fondamentaux de son action efficace dans le domaine du cinéma.
Le C.C.M. est, selon les textes qui le créent et le régissent, l'organe directeur de toute activité cinématographique en ce pays. II - ATTRIBUTION DU CENTRE CINEMATOGRAPHIQUE MAROCAIN
Il est à la fois un organisme de contrôle veillant à la bonne application de la législation qui frappe l'accès à la profession et son exercice, et un organisme de production, de diffusion et de projection de films cinématographiques.
De plus, en 1953, une décision a été prise de préparer un journal d'actualité marocaine qui serait ajouté obligatoirement aux actualités françaises distribuées au Maroc. Cette décision donnera naissance en 1958 à la formule actuelle des "Actualités Marocaines".
Les Actualités Marocaines sont, à l'origine, produites par le Ministère de l'Information et réalisées par le C.C.M.
Mais elles ont été appelées à prendre une telle importance que, peu à peu, et sans qu'aucune loi ne vienne entériner ce fait, elles deviennent l'unique raison d'être du C.C.M.
Or, l'activité productrice du Centre est destinée à l'origine à entrer dans le cadre d'une politique plus large, d'un vaste plan d'ensemble visant à faire du Maroc un foyer du cinéma comme l'y prédisposent son climat, la variété de ses sites et de son patrimoine culturel et touristique.
- Réglementation de l'industrie cinématographique.
- Elaboration et exécution d'une politique cinématographique tels sont les deux domaines essentiels prévus pour l'activité du C.C.M. On peut disserter sur l'opportunité de cette double fonction qui crée une dualité au sein du Centre, mais l'on trouvera autant de raisons "pour" que "contre", et à notre avis cela reste un point secondaire si l'on adopte la thèse du C.C.M., organe promoteur de l'industrie cinématographique.
Le cinéma est un moyen d'expression particulièrement efficace, pouvant traiter des sujets les plus divers qui sont donc autant de prétextes à la diffusion de nos richesses touristiques , folkloriques et même à une propagande adroite pour les possibilités de nos industries. Il n'est pas exclu que des films peuvent préparer le terrain à une exportation accrue de tel ou tel de nos produits à l'étranger.
D'un autre côté, il est nécessaire que les pouvoirs publics prennent à coeur la création d'une industrie productrice dont les réalisations porteront témoignage à l'étranger des richesses artistiques et morales de notre civilisation arabe. Nul par exemple ne peut nier le prestige immense dont a longtemps joui l'Egypte aux yeux du Marocain moyen, et grâce à son cinéma qui a été largement diffusé dans tout le Royaume.
Donner à l'industrie du cinéma un nouvel élan, lui insuffler un sang nouveau, donner confiance et susciter l'intéressement du capital privé, exigent un effort continu, cohérent, et une gestion du C.C.M. qui soit compétente et efficace.
L'État peut venir en aide au cinéma de diverses façons, la plus simple et la plus onéreuse étant la subvention à fonds perdus, le Maroc a pratiqué ce système jusqu'en 1953. De 1954 à 1959, un système de "fonds d'aide" fortement inspiré du système français a fonctionné sous l'égide du Service du Cinéma. Il n'a pas été remis en vigueur, et, depuis 1959, le C.C.M. se désintéresse de plus en plus de la production, s'éloigne de plus en plus des buts qui lui ont été assignés par les textes qui l'ont créé.
Sa raison d'être semble donc être la production des Actualités Marocaines.
Un cinéaste n'est ni un homme de loi, ni un homme politique. Bien des choses peuvent donc échapper à sa compréhension, surtout si le plus parfait des "black-out" règne sur les textes, sur les décisions des responsables du plus bas au plus haut des échelons, et s'il ne dispose d'aucune sorte de moyen d'information sur sa propre profession. III - CONCLUSION
Loin de lui, quoi qu'il en soit, l'intention de mettre en doute l'honnêteté de ses aînés chargés de promouvoir et d'appliquer une politique cinématographique.
Mais il estime que le C.C.M. dispose à l'origine d'une très grande liberté d'action, qu'il est en même temps qu'un organe d'action, un organisme technique de conseil; et, en centralisant les renseignements concernant la situation de l'industrie du cinéma, en interrogeant les membres de la profession (auxquels son activité productrice le mêle) sur leurs besoins et sur les réformes qu'ils souhaiteraient voir mettre en oeuvre, il aurait pu instaurer un dialogue susceptible de créer le climat favorable à l'essor de la production nationale.
Le cinéaste marocain se voit donc dans l'obligation de conclure à l'incompétence de l'administration du C.C.M., incompétence se soldant par:
- l'échec du C.C.M. dans ses buts;
- un état de malaise permanent aboutissant à la désertion pure et simple des techniciens marocains du film;
- un climat d'arbitraire et d'abus de pouvoir résultant d'une politique de courte vue et ne souffrant pas de dialogue avec un personnel qui reste seul qualifié.
Le Comité Consultatif de Gestion, créé par arrêté résidentiel, ne s'est jamais plus réuni; la direction, coupée de ses contacts avec la profession, constamment en heurt avec son personnel, incapable d'élaborer une politique cohérente ou même de fournir un éventail de renseignements concluants sur l'état de la profession, a entraîné le C.C.M. si loin de ses buts que son existence même ne se justifie plus à aucun titre.
En conclusion, nous ne pouvons que suggérer des idées d'ensemble pouvant remédier à l'état de détérioration régnant au Centre et dont même les Actualités Marocaines souffrent depuis 1963:
1- Séparer le Service du Cinéma du C.C.M. pour des raisons d'efficacité et de simplicité d'action.
2- Créer un service autonome des Actualités Marocaines.
3- "Actualiser" les textes et créer ainsi, enfin, un Centre cinématographique capable de promouvoir un cinéma national en s'assurant le concours des techniciens et des professionnels de l'industrie cinématographique tels les distributeurs et les producteurs éventuels.
N.B.: Il est à noter l'oeuvre de Dominique Maillot intitulée: LE RÉGIME ADMINISTRATIF DU CINÉMA AU MAROC, oeuvre complète et représentant à nos yeux un excellent instrument de travail et d'information sur le C.C.M.
Rabat, le 20 juillet 1965.
BOUANANI AHMED
KARIM IDRISS
KHAYAT ABDERRAHMAN
MESNAOUI AHMED
RAMDANI ABDELAZIZ
RECHICHE ABDELMAJID
REMILI ABDALLAH
SEKKAT MOHAMED
TAZI MOHAMED ABDERRAHMAN
ZEROUALI ABDALLAH