souffles
numéro 2, deuxième trimestre 1966

bernard jakobiak: à haute voix
pp. 48-50


Bernard Jakobiak - né en 1932 à Lens (Pas-de-Calais) - hérédité d'émigrants polonais, main-d'oeuvre à tout faire en Rurh puis en France - a découvert tôt par la guerre puis l'usine les adultes: dégueulasses - a fui : vagabond euphorique fou d'efforts - s'est rajeuni en poésie découverte tard - oppose sa vitalité à l'alibi d'une culture faite par d'autres; salue à ce titre Rimbaud et tout "barbare"...


Il y a une centaine d'années Charles Baudelaire aujourd'hui juché à "sa place", sur un socle imprenable, Baudelaire plat national dès le lycée, Baudelaire promu super universitaire, super homme de Lettres français, Baudelaire comparait les Français justement, à des coqs vindicatifs mais soucieux avant tout de ne pas dépasser les palissades; on pourrait dire soucieux de digérer le neuf pour redorer, hausser, varier leurs palissades, valeurs sûres.

Pourtant il ne s'agit sans doute là que de ceux qui manient une plume.
Le premier à n'en pas vouloir de cette plume palme posthume, de cette lourde hérédité qui fait que s'envase la parole dans la même trompette cocorico fumier l'un l'autre l'à quoi bon l'habitat luisant la patte orgueilleuse basse cour le jabot plein de fines choses;
le premier à prendre de la distance, à voir le grillage fin tressé, Rimbaud s'enfuit; Rimbaud ne veut même plus prendre son poids
en avalant ses pierres précieuses,
cristaux taillés de main de maître pourtant.
"Illuminations"-illusions - voyez donc pour vous en convaincre, ces têtes chenues en peser les sauts les silences, chercher
les clés qui ouvriront son perchoir de luxe à Rimbaud - l'ascension
n'entraînant personne
retombant en fumets d'oreilles intravertis,
c'est par là que se nourrissent les cerveaux biblioghages, les quelques-uns Français lettrés. Gourmets.

Et Rimbaud le premier barbare entré par effraction dans le palais des Lettres françaises, admis comme on admet dans les temps de débauche et d'ennui la canaille, Rimbaud repère la faille, l'élargit, coin ahan brise la suite très généalogique puis se retrouve pris:
     l'encre calligraphie dans le désert français,
il s'était comparé jugé "race inférieure". Rien à vivre.
FINI.

40 ans
     pour que ça craque à nouveau la fissure.
Plutôt feutré pourtant, plutôt air de musique Apollinaire oppose littérature à poésie. Mais il faudra l'horreur de la 1a guerre mondiale pour réveiller vraiment. C'est Tzara à Zurich.
On quitte les rayons policés des belles bibliothèques où on aurait sa place si l'on voulait se payer de travail et d'application sage: des poètes montent à Paris, affrontent
          un public:
                  DADA - MORT A L'ECRIT
                                           Face
à ce public
        la parole détruit
                     l'écrit
détruit pour ce public en pensant à ce public
                                   l'écrit
c'est-à-dire la spécialisation de la poésie française en l'écrit
celui, qui depuis 4 ou 5 siècles en France s'efforce
d'enlever la voix à la parole,
                       la voix
                             sans quoi
                                     la parole
n'a plus de sang
              plus de présent
                           plus d'effet
mais seulement l'illusion d'intériorité éternelle immobile universelle.
DADA contre cela. Face à ce public. DADA devait mourir, mourut.
Mais là revint l'écrit
               Enrichi
                       il se fit habit neuf
                                 "surréraliste".

On a eu vent pourtant d'un autre public mais on s'est contenté de prendre sa carte du parti communiste.
L'intuition impulsive
                           de DADA
fut perdue de vue.

Un seul, tout seul méconnu par ses amis eux-mêmes
un seul trop seul
à tort et à travers
              en bloc
s'efforça et parvint à refuser l'écrit
                            MIATLEV.
Seul
    trop seul
           il sombra.
Le silence. Ce n'était pas cela. Ni le Rien. Ni le "zen".
De la prose moralisante.
Un seul
dans un air raréfié
s'est attaqué à ça.
Miatlev :
       "Je me suis trompé" (1963)

En 1936 il écrivit pourtant: "Ce que tout cadavre devrait savoir".
Et la poésie là n'est pas l'image
la poésie n'apparaît pas à l'oreille oeil intérieur.
la poésie est l'énergie que doit trouver la voix.
Et Miatlev l'a pressenti puisqu'il prévient: "ce texte est à dire comme un monologue de théâtre, quand on est au-delà du bout du rouleau". A DIRE.
Et alors c'est la parole mariée avec la voix: quelqu'un.
Si Miatlev avait alors découvert son public, l'autre public, celui qui ne lit pas
il aurait davantage dit.

Je découvre le poème là où la voix porte la parole et la parole le geste dans l'euphorie de la communication avec un public :
                         son espace
                                  sa portée.
Le poème dit dansé
               mais pas théâtre
                            pas
                               sociabilité.

Précisons : parmi ceux bien connus ou un peu de quelques-uns, j'ai rencontré cette poésie dont je parle. Je cite: la plus grande partie de "Cahier d'un retour au pays natal", d'Aimé Césaire,
"quelle était noire ma légende" et "Dieu n'est pas avec ceux qui réussissent" de Miatlev, "Le Daba" de Martial Sinda, etc...

LA VOIX
Or la foule ne connaît de la parole que la chanson qui est fable intimiste. C'est sans doute pour cela qu'elle est si vulnérable dans les moments de crise, "la voix de qui la viole, car quelle que soit l'erreur assénée - fascisme, nazisme, racisme, hypernationalisme - c'est la voix vivante dans l'espace. On l'avait oubliée. On avait étouffé cette dimension humaine. Quelqu'un l'a réveillée à son profit. Les intellectuels sont désarmés: il ne s'agissait pas d'idées.

LA VOIX
dont les mathématiques et les sciences de tout ce qui n'est pas humain, n'ont que faire.
A ce sujet, le mutisme du peuple français est évident aussi bien dans la grande presse, le commerce et les arts divers que dans les pages de "la poésie populaire" rassemblés aux éditions Seghers et qui ne sont plus qu'un objet de musée sans plus d'effet que ces souvenirs chers aux touristes.

MUTISME
c'est à dire ignorance d'une dimension humaine. NANISME de petits bourgeois dans leur voiture.
Dans ce domaine, mes amis Khair Eddine, Laâbi..., la France est aussi sous-développée que le Maroc. Alors pas de complexe à l'égard de la littérature; notre domaine est autre et merveilleusement vierge. L'outrance nous est permise si le souffle la porte.

POESIE: mouvement: erreur à vivre: ALLONS DIRE!.. Nous ne sommes pas de futurs livres.



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