souffles
numéro 4, quatrième trimestre 1966extraits de correspondance (1)
pp. 48-51
Alger, Novembre 1960
Martiniquais, âgé de trente ans, je vis depuis 1962 en Algérie en attendant que les circonstances me permettent de regagner mon pays natal.
Afin de me situer (littérairement parlant), je vous signale, disons comme référence de mes opinions, un article signé Boukman paru dans le dernier numéro de PARTISANS, consacré à l'Afrique et dont je suis l'auteur (il s'agit d'un article à propos du Festival des arts nègres de Dakar).
Je m'intéresse particulièrement au théâtre, Dans le dernier numéro de la revue culturelle algérienne "NOVEMBRE", il a été publié un de mes textes : "ORPHEE NEGRE".
C'est avec un grand plaisir que j'ai lu les numéros de SOUFFLES. J'ai apprécié la qualité des textes qui s'y trouvent, et des expériences comme celle que vous tentez au Maroc, sont comme des bouffées d'air frais pour réanimer l'espoir. Car, les temps d'aujourd'hui, si l'on n'y prend garde, si l'on ne s'obstine à voir au-delà, sont propices au renoncement et, alors, nous revoilà plongés dans les cavernes des premiers âges... Il est bon que des hommes jeunes se dressent et crient non ! Vous êtes de ceux-là... et c'est en toute fraternité que je souhaiterais mêler ma voix à vos voix et que d'autres voix rejoignent le choeur... C'est ainsi que naissent les torrents...
Je tâcherai de faire connaître SOUFFLES autour de moi, afin que de telles revues bousculent l'ordre (littéraire) établi. Nous en avons assez des poètes sclérosés, idolâtres à la dévotion de dieux momies.
daniel blérald
Prague le 26 Octobre 1966
Votre revue me plaît beaucoup et elle peut m'aider dans mes études sur la littérature du Maghreb. Une revue de ce type était nécessaire depuis longtemps. Je l'attendais, mais je ne savais pas quel pays du Maghreb commencerait. Et enfin, la revue apparut et de plus dans une forme excellente et moderne, avec un contenu audacieux. Mais la revue n'est pas destinée uniquement aux Marocains, elle peut intéresser aussi d'autres et pour eux il serait profitable de dire chaque fois quelques mots de la biographie, comme vous l'aviez déjà fait dans l'index des cinéastes marocains.
Je serais très heureux si je pouvais collaborer à votre revue.
svetozar pantucek
(Académie tchèque des études orientales)
Pologne. Lodz le 14/11/66
Votre revue, par l'élaboration consciente et téméraire d'une attitude culturelle authentique, a donné à la Parole tout son épanouissement vers la recherche efficace d'une expression nouvelle à la hauteur des obsessions et hantises de l'homme moderne. Ici s'évanouissent tous les faux prestiges de "l'art", "l'esthétisme" et l'académisme figés par l'habitude et la complaisance ingrate. Cette volonté obstinée qui l'engage à "dire" exprime amplement la dignité même de l'homme devant le pourrissoir qui le cerne au risque de l'étouffer.
SOUFFLES a ressucité leur souffle à des intellectuels marocains qui se condamnaient à la sellette de l'indifférence sénile et irréaliste...
abdelkader lagtaa
Jarnac, 13 Octobre 1966
Chers amis de SOUFFLES,
Je suis très sensible à la qualité de l'écriture de votre revue. Tous, vous savez faire de la langue française, la seule qui me soit perceptible, un chemin où le style accroche d'abord l'attention et l'admiration. C'est un exercice que j'apprécie toujours. Et je n'ai pas envie de vous passer de la pommade généreuse.
Dans ce graphisme châtié la poésie y trouve son compte et c'est ce qui m'importe en premier lieu. Nous sommes d'accord sur les termes et la convention même du langage. C'est un premier point qui n'est pas négligeable. Le bon emploi d'un matériau fixe toujours l'intérêt dans les prolongements même des mots et dans leurs éclatements. Cette importance est d'autant plus appréciable que contenu et contenant sont de même essence.
Ceci posé j'en arrive au détail.
C'est bon d'avoir l'esprit incisif, percutant, habile, encore faudrait-il, mais le pouvez-vous, être plus clairs et directs, moins dissimulateurs et ne pas tirer à boulets rouges sur les mêmes et toujours sur les mêmes.
Je pense aux monstres du colonialisme ou sur vous-mêmes. Alors que nous savons que votre propre entourage n'a rien à envier aux salauds que nous sommes.
Il m'est apparu comme facile de faire une flambée contre les officialités du Sénégal. Alors que toutes officialités sont toujours méprisables pour un révolutionnaire lucide. Et je pense justement à André Breton qui vient de mourir. C'est un bel exemple d'honnêteté, avec tous les défauts que cela comporte également.
Quand on sait de quels crimes sont coupables les états, les religions, les politiciens et autres grands seigneurs, il m'apparaît comme futile de s'en prendre à des généralités et à des apparences.
Il est vrai que la plupart des rédacteurs de SOUFFLES sont peut-être des fonctionnaires. Ce qui explique tout. Mais alors dans ce cas-là, mieux vaut la décence et l'humilité en vers soi-même. Et je pense plus précisément aux anciens élèves de l'IDHEC qui ont collaboré au numéro de Souffles que l'ai sous les yeux. C'est un peu nous donner à savoir ce que nous savons déjà le militantisme ou l'art ? Hélas, les meilleures leçons ne s'apprennent pas à travers la culture qu'on donne au bon peuple mais dans la vie même.
Ecrivez ou faites des films sur la vie. Le monde n'en demande pas davantage. Quant à résoudre d'abord le problème économique ? C'est de pensée charitable mais simpliste.
Les gens d'ici qui sont pourvus mangent, boivent, dorment et font de la merde, et rien que cela, Le problème économique résolu, tout reste à résoudre. Car c'est la liberté qui importe. Mieux vaut du pain gris de prolétaire que du beurre de fonctionnaire !
Je pense chers amis que vous comprendrez le feu de ma violence.
Dans ma solitude campagnarde, n'ayant ni dieu, ni maître, ne sachant d'où je viens et n'ayant rien à défendre je m'étonne devant la puérilité dangereuse des nationalistes qui débarquent et qui croient qu'ils ont enfin la poudre pour eux seuls. Et qu'ils peuvent impunément s'en servir comme les autres l'on fait si mal avant eux.
La poésie qui n'est pas un ministère ni un sacerdoce et pas davantage l'affaire de l'armée, fut-elle l'Armée du Salut, doit être pratiquée en toute disponibilité et hors de toutes les tours d'ivoire ou de mission.
C'est la vie la poésie. Un lieu commun trop peu habité mais habité quand même puisque je vous sais de ce soleil. La couleur de la peau ne change rien au problème. Je dis bien problème, car c'est à la fois grave et pas sérieux, car de toute façon il y a toujours l'absurdité quotidienne mais aussi la liberté de n'en croire rien. Et de penser justement que ceux qui ne savent rien en savent souvent bien plus. Le tout reste dans ce qui se fait. Ce que l'on fait du rien ou de la liberté c'est tout comme.
Je sais, je sais, vous êtes jeunes, mais nous sommes tous jeunes devant les mots et les images qui servent à faire les mots.
C'est plus difficile d'être jeune devant ce qui sert à faire la vie. Et c'est plus difficile que d'user des miroirs du langage ou des images qui s'y rapportent et qui sans lui, le langage, n'existeraient pas.
Certes, vous avez raison d'être raisonnables. A savoir si la poésie peut se satisfaire de cet équilibre des forces ? Je ne le crois pas. Il vous reste à me convaincre du contraire.
C'est parce que j'éprouve pour vous beaucoup d'amitié et aucune contrition que je puis vous écrire ce que je pense, comme ça, rien que pour la joie de vivre avec vous avec toutes les difficultés que cela suppose.
Croyez-moi sincèrement de coeur avec vous.
fred bourguignon
Reims... 1966
Il y avait longtemps que la poésie ne s'était pas rendu coupable d'une réalité hérétique, ne l'avait sondée jusqu'à en extraire les foetus d'une exigeante liberté salvatrice.
Voilà en premier lieu ce que j'ai à dire de SOUFFLES qui est loin de s'identifier à ces quelconques grappes d'objets esthétiques desséchés, mais revêt l'importance d'une nouvelle présence du sang en une terre encore asservie à trop de vieilleries bien pensantes...
Désormais, pour moi Français, j'aurai, grâce à des poètes comme vous, la mesure de ma culpabilité, de ma force à tenir compte de l'émeute inattendue, enfin tout ce qu'il faut pour ne pas me donner bonne conscience "occidentale"...
Vous savez, pour nous c'est dur, c'est nécessairement dur, de prendre conscience de ça, mais c'est aussi notre seule chance de participer un jour avec sincérité à cet énorme avenir, cette révolution totale à laquelle nous croyons, et qui ne peut venir que de l'Afrique.
Je ne me gorge pas de mots, ...quand les yeux commencent à voir leurs "assassins glorieux"...
jean-marie le sidaner
Compliments pour Souffles dont je viens de lire le numéro 3. Revue jeune (il en manque), ouverte, banc d'essai mais qui révèle déjà tant de talents (et de talent).
mouloud mammeri
Lesconil 10 janvier 67
Vous ne sauriez croire combien je suis heureux de voir les jeunes écrivains marocains s'affirmer bien au-dessus des conventions et des bienséances pédagogiques et bourgeoises. Vous avez emporté des écoles la bonne leçon, celle du mépris, celle de l'audace. Vous voilà bien loin du médiocre ronron des rudiments, - bien loin aussi des contraintes d'une période historique que vous détestez. Mais croyez bien que la France que vous détestez, cette France-là nous la détestons nous aussi. Il reste heureusement la France de Baudelaire et de Rimbaud. Il reste la France qui fait accueil à Kateb Yacine...
gabriel bounoure
1 : Nous considérons que ces "extraits de correspondance" ne doivent pas être assimilés à une rubrique traditionnelle d'échange. Il n'entre pas dans nos intentions non plus d'entamer dans ce cadre des polémiques quelles qu'elles soient. La publication de cette correspondance dans notre revue a simplement pour but d'exposer les différentes réactions qu'elle a provoquées, un témoignage sur la manière dont SOUFFLES a été ressentie.
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