souffles
numéro 4, quatrième trimestre 1966abdelaziz mansouri : étape 2
pp. 25-27
L'ombre devient nuit. Son agonie avait duré longtemps; lentement elle s'était évanouie. Un moudd'en monta au haut de son minaret, ses pas sur l'escalier s'entendirent distinctement; non sa voix. Les triangles tintèrent mais personne n'annonça la soupe; il n'y avait personne. - Un sentier, un chemin, une ruelle, d'autres, ma maison: arche vétuste en cul-de-sac, piège pour automobilistes. Marche arrière: y a pas d'issue. - Un angle de rue, un dédale, une avenue; je descends. - Je marche et c'est le pays des feuilles mortes. Pendant longtemps le vent les fait culbuter avant que ne vienne le tour d'un vieux balayeur. C'est le silence pathétique des boulevards déserts messagers d'amertume, suggestifs de désespoir. Et d'un délire... Les façades défilaient à la débâcle de mes pas, fléchissaient avec mon genou. Il 1eur arrivait de se prendre dans le faisceau de lumière des lampadaires; elles se voilaient de nuit et mes yeux devenaient des gisements de cobalt. Je cherche à lire sur leur écran; je n'y vois pas d'aphorisme. Un appel émane d'elles, me donne le feu vert et c'est le départ pour mes pérégrinations. Le ciel posa doucement sa langue scléreuse, bleuâtre entre les façades. Une voiture tourna à un coin de rue. Je me vis dans l'homme au volant, volant le bien des autres, fuyant mes sens. Le globe exposé dans la vitrine du libraire tournait hésitant, par à-coups, comme un coeur malade. Non, c'est moi qui garde mes complexes; ici la maladie n'est pas sporadique, elle est essence. Comme le poison. Mais voilà que le virus s'installe et réclame sans vergogne le monopole. Désormais, mon sort de parasite va me combler. Le "Faites un choix s'il vous importe de goûter au bonheur", eh, gardez-le pour vous ! Je ne peux ni comprendre, ni sacrifier. Allons donc ! c'est un désert et ma gourde est vide. Je la jette par terre et m'assois dessus. Je n'ai pas soif et je l'oublie: mais le soleil vient forer juste au milieu du crâne, je la secoue du sable et m'en protège... Elle m'assomme, cette nostalgie du regard en arrière. J'aimerais pourtant ne pas me souvenir... au bonheur. Ça ne dure que le temps d'avoir des moustaches. Et je vous parle du bonheur des philosophes, l'unique. "Moi, je ne suis pas philosophe". Et tu fais quoi quand tu t'attendris sur un roseau flottant à la dérive ? Ouay et l'irréalisation de ce bonheur est à la portée de tout le monde. C'est une question de credo: tu nommes et tu joues. Ça vient toujours, tout seul, dès qu'on a appris à appeler la fatuité par son nom. C'est un matin de printemps que ça m'est arrivé. Je regardais les fleurs et écoutais le ressac quand je me dis "Il manque quelque chose". Et le flegme se montra à moi. Je m'étais surpris rampant, m'accrochant. Depuis, je ne cherche plus qu'à l'atteindre. De toutes mes forces comme le prosélyte qui, face à son épreuve, met le coeur et l'âme dans la démonstration. J'ai choisi. Je choisis et c'est toute une tentation à retenir: ces yeux en verre; oui ceux-là mêmes; jamais vu pareille oeuvre de trachome. Plus de lueur, de mauvaise conscience. Je ne suis pas fou pour regretter le monde. Mais il n'y a pas de monde, à peine une petite crapule de conscience. La synthèse ? Un homme qui marche, un globe qui tourne et une conscience bâtarde qui se pose en guérillero, complote et soulève, les unes contre les autres, les baïonnettes intelligentes. Non mais qu'est-ce qu'une synthèse, si vous voulez saisir au vol les ? qui cinglent comme le froid boréal, épargner votre occiput ? Je me soucie si peu du mien. Ankylosé, il est devenu et pèse lourdement à m'en faire perdre ma station. "Heureux les robots" "Jamais, les morts ! jamais". Alors quelle est la synthèse de adhésion-rupture-conversion ? Une folie, non: une intelligence; une synthèse, un... Consultez le rond-point, savoir si ce n'est pas les dignes continuateurs de sa sagesse; ils sont au nombre de quatre. Entre temps, chapeau au maître du surréalisme. "Qui veut devenir poète n'a qu'à se rouler quarante jours par terre, boire de l'eau de mer et imiter le vol des oiseaux sur un fauteuil d'orthopédie". Quand même, il y a bien une différence, non ? Et je connais la tentation de l'arbre et de la pierre; assez pour la savoir. Je les regarde obstinément, ils retrouvent leur rugosité d'antan, quand l'homme méditait encore son cas sous la glace. Une paire de lunettes voguant dans un ciel pâteux comme un petit monstre. Non, ce n'est pas une rétrospection, une fuite, oui, ce désir vous porte déjà à l'orée du désespoir avec sa cruauté, ses horizons insondables. Ce n'est pas un ciel loin, ce n'est pas une mortification.; c'est le poids d'une platitude écrasante. Un homme face à un lion empaillé mais avec les yeux encore chassieux. Beau gisement en or facile à cliver. Chassie: horizon immédiat. Je taille dedans. Pas prêt de finir. Et suave aussi le poème du berger. Il lève les yeux du côté de son étoile et attend qu'elle se soit éteinte pour chanter son poème. "Venez mes brebis, venez mes moutons que je vous raconte le mythe de la création." C'est un brave homme qui ne peut pas voir partir pour l'abattoir un mouton qu'il n'a préalablement préparé et instruit des circonstances dans lesquelles il a fait entendre son premier bêlement. Mais on m'a raconté qu'un jour ses moutons sont revenus sans lui. Je compris et de l'orée, me trouvai de l'autre côté des frontières du besoin et du devoir, en plein pays des boulevards avec une chemise amidonnée et le choix des restaurants. Devant; tout devant. Derrière: je n'ai pas besoin de regarder derrière. Au pas un rideau me suit, me presse d'avancer et m'enlève l'illusion de 1'étape franchie. Devant; tout devant et derrière, rien qu'un rideau.