souffles
numéro 6, deuxième trimestre 1967

questionnaire
pp. 6-7


      1) Albert Memmi, quels sont d'une manière générale les problèmes que vous pose votre condition d'écrivain Tunisien, Juif, d'expression française, vivant et écrivant en France depuis de nombreuses années ?

     Je me sens exotique. Non seulement parce que mes références humaines et cimatiques sont d'ailleurs ; ce que je vérifie tous les jours davantage. Mais parce que mes préoccupations esthétiques sont profondément différentes de celles de mes camarades français. Non que je leur donne tort ou me donne raison ; Ils sont les enfants choyés d'une grande nation et d'une grande tradition, ils ont tout eu, tout lu, tout essayé, sont merveilleusement intelligents et extraordinairement habiles - Tout jeune Français sait écrire d'instinct. Pour moi, l'histoire est encore à faire, les mots sont tout neufs. Ils s'ennuient un peu et cherchent au-delà de la Littérature ; moi, j'ai peur et je suis obligé de me battre sans cesse, et c'est cela, ma Littérature.


      2) Quelle place pourriez-vous attribuer maintenant à vos oeuvres romanesques (La statue de sel, Agar) dans le développement de votre itinéraire d'écrivain et d'essayiste?

     Voir "Auto-Portrait".


      3) Pouvez-vous nous dire comment, avant de commencer à écrire, vous ressentiez la colonisation sur le plan culturel ?

     J'avais honte des miens et de moi-même ; de ma langue natale, de nos institutions et de nos habitudes collectives. C'est en essayant de dépasser ce refus de soi que j'ai découvert, intellectuellement cette fois, tout le reste.


      4) Le "Portrait du Colonisé" a été écrit à un moment où la colonisation avait une acuité quotidienne directe. Les chapitres de ce livre traitant particulièrement de la culture et du "drame linguistique du colonisé" sont devenus presque classiques à l'heure actuelle.

A la lumière des réalités nouvelles des indépendances nationales et des expériences dans les domaines culturel et pédagogique, formuleriez-vous ces problèmes comme en 1957 ? Votre appréciation de ces problèmes a-t-elle subi des changements ?

     L'itinéraire de la décolonisation est peut-être plus complexe encore que je ne l'ai annoncé. Mais les grandes lignes demeurent, me semble-t-il.


      5) Le "Portrait du Colonisé", le "Portrait d'un Juif", sont les deux premiers volets d'une sorte de trilogie (dont le troisième sera, je crois, un "portrait de la femme") consacrée à des conditions d'oppression caractéristiques de notre époque. Quelle a été votre méthode de travail pour aborder ces sujets et quels sont les buts essentiels de ces différentes approches ?

     Voir "Auto-Portrait".


      6) Quels jugements seriez-vous tenté de porter sur vos collègues nord- africains vivant en exil volontaire ? Quel est selon vous le devoir le plus urgent d'un écrivain maghrébin ?

     En tant qu'écrivain, il n'y a pas d'autre devoir pour un écrivain que de faire son oeuvre.

     En tant qu'homme, il a tous les devoirs de tout homme.

     Et quelquefois, il y a contradiction, en effet.


      7) Comment voyez-vous l'avenir d'une littérature maghrébine décolonisée mais gardant toujours le français comme langue d'expression ?

     Je ne le vois pas.

     Tout dépend de la physionomie définitive du Maghreb.



Page suivante
souffles: sommaire du deuxième trimestre 1967 ou sommaire général
Sommaire de ClicNet

souffles mars 1998
cnetter1@swarthmore.edu
spear@lehman.cuny.edu