Cher Jean-Jacques,
Des étudiants aimeraient vous poser quelques questions sur "Mon coeur est têtu...". Si vous voulez bien répondre, ne répondez qu'aux questions qui vous intéressent. Vous pourriez aussi regrouper ces questions et y répondre globalement.
Ces étudiants ont entre 17 et 22 ans et suivent un cours de français de 3e semestre à l'Université de Swarthmore.
Dans "Mon coeur est têtu...", nous pensons spontanément que la première personne fait référence au poète. Avons-nous raison?
Voici ces questions préparées en classe ce matin après lecture et vérification de la compréhension du texte:
Dan Green et Elizabeth Zimmerman1- Qu'est-ce qui est arrivé après avoir écrit ce poème?
2- Quel âge aviez-vous quand vous avez écrit ce poème?
3- Qui est-ce que vous vouliez embrasser?
4- Etes-vous toujours honnête avec vos amantes?
5- Votre coeur est-il toujours têtu?
6- Quels autres types de poèmes avez-vous écrits?
7- Lisez-vous vos poèmes aux Etats-Unis (devant un public)?
Roosbelinda Cardenas et Deirdre Downey1- Qui est la femme que vous voyiez?
2- Comment elle était physiquement?
3- Où était la femme?
4- Est-ce que vous connaissiez cette femme si elle existait vraiment?
5- Qu'est-ce qui s'est passé depuis 1970?
6- Est-ce que vous étiez amoureux d'elle?
7- Est-ce que vous pensez encore à elle?
8- Est-ce qu'il y a un dessin d'elle?
9- Pourquoi est-ce que vous étiez toujours pressé et impatient?Amitiés,
Ces étudiants étaient vraiment heureux de lire votre poème et de vous poser ces questions. Soyez libre de leur répondre quand il vous plaira et si cela vous plaît. On pourrait si vous le voulez publier cette interview sur ClicNet.Carole
Chère Carole,
Elle est bien agréable cette correspondance ! Je critique souvent les enseignants qui donnent à leurs élèves des textes anciens, certainement très forts et merveilleusement bien écrits, mais je pense qu'il est nécessaire de lire aussi les auteurs contemporains. De là, à me lire, vous me flattez beaucoup ! Je ne vois pas bien où est le talent et le génie dans mes textes. Mais c'est vous qui avez raison : on ne peut pas s'arrêter uniquement devant les créateurs exceptionnels, nous sommes tous des êtres exceptionnels, n'est-ce pas ?
Je réponds à votre première question : quand j'écris "Je", c'est toujours moi.
A Elizabeth Zimmerman et Dan Green :1- Après avoir écrit ce poème, j'ai eu droit à déshabiller un peu plus la belle jeune fille, j'ai eu droit aussi à des compliments, pas pour le déshabillage un peu maladroit, mais pour les poèmes car je lui en ai beaucoup écrit, et un reproche : "Si ma mère met la main sur ce poème-là, elle va m'interdire de te voir". Sa mère n'avait pas donné l'autorisation qu'un grand méchant loup déshabille sa fille.
2- J'avais seize ans ou dix sept ans. Je crois que la date 1970 est fausse, 1968 ou 1969 serait plus juste.
3- C'est elle que je veux encore embrasser; Elle est mon premier amour, je n'arrête pas de l'embrasser ( tenir dans ses bras ), je dois être un peu étouffant ! Quand elle manque d'air elle demande une pause et moi je crois qu'elle ne m'aime plus !
4- Un véritable amour est toujours honnête. Un amour qui n'est pas réellement vrai et exact ne m'intéresse pas.
5- Le coeur et la tête ! La question est difficile ! Le coeur a des raisons que la raison n'a pas. Actuellement la pensée discursive mène le monde, dans l'adjectif "têtu" il y a cette notion de prise de pouvoir. La lune, moon, symbolise cette pensée discursive : je réfléchis. La lune ne brille pas par elle-même, le soleil la fait briller. La faculté intuitive est symbolisée par le soleil et par le coeur.
Selon René Guénon dans le Devenir de l'homme, la racine "man" ou "men" a servi dans des langues diverses à former de nombreux mots qui désignent à la fois la lune, la mémoire, le mental ou la pensée discursive et l'homme lui-même en tant qu'être spécifiquement rationnel.
Si on a le coeur plus gros que la tête il faut mieux vivre avec son coeur.
6- J'écris un peu sur tout, un peu n'importe comment. Mais je reste toujours sur l'amour, la femme, la mère, celle qui donne la forme, c'est la mère qui donne le corps à l'enfant, mais je cherche le passage vers une lumière plus directe, plus solaire. Aller vers la métaphysique et moins vers la physique ou le physique.
7- Non, mais il faut le faire. Les mots sont faits pour être dits, mieux, chantés ! Je parle très mal, je ne sais pas chanter, et j'ai pas vraiment de don pour les langues étrangères. Mais c'est à faire !
A Roosbelinda Cardenas et Deirdre Downey1- Christine, c'est son prénom.
2- Elle était tellement belle que je n'ai pas encore eu le temps de la décrire entièrement ; de toute façon il n'y a pas assez de mots pour cela, je serais obligé d'en inventer.
3- Nous habitions la même ville et presque le même quartier. L'écriture est un exercice solitaire. J'étais donc seul. Elle devait être chez elle ou au lycée.
4- Je la connaissais ; je n'ose pas dire très bien car je pense que tout être est au delà d'une définition. J'espère bien qu'elle existe toujours !
5- Nous nous sommes perdus de vue trois ou quatre ans après.
La dernière fois, il y a dix ans environ , je lui ai téléphoné et elle a eu la gentillesse de me recopier mes poèmes et de me les envoyer. Je ne garde rien. D'ailleurs si je n'avais pas découvert Internet, mes textes dormiraient toujours dans un carton ou je les aurais encore perdus. Ils n'ont pas d'importance pour moi.
6- Très amoureux. Mon premier amour !
7- Je crois qu'on ne peut pas ne plus aimer quelqu'un. Je pense à elle et certainement plus que je le crois. Le premier amour reste le premier, les autres sont secondaires. L'amour est la clef de la vie, on se souvient bien de cette porte grande ouverte que l'on vient d'ouvrir pour la première fois.
8- Je n'ai pas de dessin d'elle.
Je dessine et j'imagine quand les choses n'existent pas, ou pas encore. Autrement j'ai des "photographies" dans ma mémoire : ce sont les souvenirs. Ce sont des images exactes. J'ai beaucoup de souvenirs d'elle.
Dans le poème je la dessine car je trouve que mes souvenirs sont insuffisants, je la veux plus encore. J'imagine des baisers nouveaux ! Je fais une peinture très grande d'elle, grandeur nature, car je ne l'ai jamais vue nue, autrement je me repasserais le film.
9- La précipitation et l'impatience sont des défauts mal vécus par l'autre bien souvent. Mais là dans mon rêve, dans mon imagination, je suis tout seul, je ne vais pas me faire attendre. Dans la vie les événements sont successifs. Dans la mémoire ou l'imagination les événements ne s'inscrivent pas dans le temps, ils sont simultanés. Et puis j'avais tellement envie de l'embrasser toute nue tout de suite...
Merci à vous tous et BONNE JOIE !
Jean-Jacques Creche
11 octobre 1997
Edition et illustration de Carole Netter