souffles
numéro 2, deuxième trimestre 1966

mohammed jabir
pp. 46-47

     Cette étude a été écrite dans des conditions qui ne permettaient pas à son auteur d'avoir la documentation nécessaire à l'élaboration d'un texte véritablement analytique. C'est une suite de notes que nous livrons telles quelles parce que nous considérons qu'elles soulèvent un certain nombre de problèmes en ce qui concerne un aspect très important et souvent falsifié de notre culture populaire.

Composition Folklorique (Etude du terme Halka)

     Musique et rythmes inspirés de l'ensemble folklorique national, mais aspirant à une certaine synthèse, tant par les thèmes, que par les formes. Etude des constantes rythmiques de l'ensemble folklorique, par delà le régionalisme. C'est surtout sur la base des thèmes nouveaux que devra s'élaborer cette rythmique nouvelle, conçue comme réunification de l'expression (ce qui n'exclue pas la variété, mais enrichit chaque région de l'apport des autres), car l'expression sera devenue consciente.

     La halka ainsi conçue devra être une anthologie vivante de l'ensemble paysan national. Anthologie sur deux plans:

• celui de la vie concrète (problèmes posés à la paysannerie).
• celui du folklore proprement dit.

     Anthologie vivante au sens plein du terme, car conçue comme un effort artistique vers l'expression consciente.

     Le travail sera à entreprendre avec paysans et citadins à la fois. Ce qui implique une étude systématique des formules rythmiques. Ceci permettra de définir des constantes, aptes à une synthèse plus riche. Ce n'est pas un effort artificiel. Les formules régionales correspondent à un cadre sociologique essentiellement régionaliste. Aujourd'hui, la nécessité historique de créer une conscience unique sur la base de la nation, doit donner lieu à une expression populaire, disons unifiée, et à la mesure des données actuelles.

     Evidemment, la chose sera orientée. Le folklore en tant qu'expression est bien disparate; mille thèmes y ont cours, analysables sur les plans sociologique et artistique. Il s'agit aujourd'hui de partir d'un projet. L'expression déterminera à l'avance son objet et son but. Elle sera expression - si l'on tient compte de ce que le folklore jusqu'ici est expression en soi pour soi, dans les limites du groupe - pour la paysannerie en dehors des contingences régionales. Expression élaborée.

     C'est dans le sens d'une évolution du folklore (vers la musique ? le théâtre ?) que s'inscrit cette tentative.

Thèmes d'expresssion

     Introduction en solo du conteur, alors qu'au fur et à mesure apparaisssent sous l'éclairage des personnages ou des files de personnages évoqués.

1. Le village
   • les gens qui y restent
     
   • ceux qui sont partis
     
   • les moissons.

2. La veillée
   • sketches évocateurs (le moissonneur qui revient de loin, qui se présente, raconte son voyage, ses mésaventures).
   • Sketch sur les khebbaz (pauvres moyens, dépendance); suit une aventure cocasse sur les femmes (conteur en solo, puis intervention du groupe). Allégorie de la Femme qui apparaît petit à petit comme le symbole de la fête (épouse, amie, joie). Puis exubérance où tout le fond érotique et de jouissance se mue en la formation du cercle, en revendication du bonheur.

3. La formation du cercle

        C'est un procédé à la fois d'ordre scénique et se rapportant au fond. C'est le moment de révolution, où le folklore devient épopée de la conscience. Fanon parle de ces exutoires que représentaient les danses effrénées chez les peuples opprimés par la colonisation. Jusqu'aux recoins de leur psychisme: surenchère de défoulements musculaires pour pallier à la contrainte psycho-musculaire. Le folklore fut aussi exutoire chez nous. Il l'est encore dans une certaine mesure. Dans une moindre mesure pour ce qui est du défoulement musculaire, mais plus sensiblement pour ce qui est de l'équilibre interne du groupe compromis dans la vie quotidienne par les entraves objectives multliples.

        Le cercle que nous visons est au contraire un cercle rationnel et volontaire. On ne se défoule pas; on s'y regroupe; on s'y reconnaît; on ne s'y défend pas contre la vie quotidienne, mais on s'y assume; on n'oublie pas, on devient conscient.

        Pratiquement, cela peut se concevoir ainsi:

        Dans les sketches évocateurs, les éléments de la halka sont ainsi isolés, disparates. Mais au fur et à mesure, avec la synthétisation des rythmes, les sketches (ou les épisodes de tels sketches) vont évoluer et devenir expression d'une réalité commune. Sur le découpage scénique, et avec les procédés d'éclairage, le groupe incohérent, hétérogène de la veillée va s'homogénéiser. Les éléments vont devenir complémentaires (groupes qui se répondent; couplets repris successivement par tel ou tel groupe).

        Le cercle sera le résultat de cette évolution. Tous les thèmes évocateurs étant cités, une fois élaborée l'exigence commune du bonheur, le cercle constituera le rassemblement harmonieux, par lequel seule l'exigence du bonheur peut être exprimée (un "ahouach" nouveau style ? Voir.)

        Etudier:
   

   • la composition des sujets rythmiques (synthétiques),
   • la composition de chants évocateurs, des solos du conteur, des couplets du choeur,
   • les dialogues intermédiaires; dialogues des sketches qui tournent tous à l'expression rythmée (y mêler des proverbes).

Thèmes rythmiques à étudier

• Thèmes de groupes
  • "Lhaït" de l'Atlas, du Gharb.
  • Ahidous. Ahouach.
  • Le cercle des plaines atlantiques, au Sud de Casablanca jusqu'à Marrakech.
  • Le cercle Oujdi.

• Solos
  • Aïtas (Rif, Chaouïa, Haouz).
  • Chants à deux ou avec choeur (Chaouïa).

• Sketches
  • Jamâa Lafna.
  • Improvisations (Gharb Chaouïa).
  • Sketches Gueddari.

Techniques de synthèse rythmique

     Les solos, soit du conteur, soit d'évocation, qui n'exprimeront que des réalités individuelles garderont un cachet régional pur. Ce qui aura changé, c'est le thème.

     Les ensembles qui commenceront à se former seront soutenus par une mosaïque de rythmes différents, mais complémentaires, selon l'atmosphère à créer (moderato, crescendo, etc... avec un refrain unique qui reviendra en leitmotiv pour ponctuer. Le refrain sera de composition particulière et innovée.

     Le cercle final sera peut-être plus dur à réciter, il brassera plusieurs genres, fera s'interpénétrer des rythmes différents, n'ayant plus le rythme seul pour objet, mais l'expression.

     Sa composition devra suivre les thèmes et les moments à créer. (Séquence de la main volontaire qui s'ouvre, seule éclairée sur la scène, bientôt suivie par autant de mains qui s'ouvrent, alors que le cercle, déployé, avance).

     Il faudra réunir un inventaire aussi complet que possible de rythmes, y procéder à des choix. Orienter de jeunes paysans à improviser tant qu'ils pourront les formes. Penser à la composition de rythmes innovés. Procéder à la composition des thèmes du conteur, des thèmes évocateurs et des thèmes du cercle. Écrire des sketches; les interférer aux rythmes.