souffles
numéro 2, deuxième trimestre 1966dossier cinéma: pour un cinéma national
pp. 21-23
Texte du mémoire adressé à S.M. le Roi Hassan II en date du 1er Juillet 1965 et contenant des suggestions qui concernent la mise en valeur de l'industrie et de la profession cinématographiques au Maroc.
PREAMBULE
La cinématographie est une science moderne qui débouche essentiellement sur la technique, l'économie et la culture. Son aspect économique divise ses activités en trois branches:
- production (activité industrielle);
- distribution (activité commerciale);
- exploitation (activité commerciale également).
Le Maroc est particulièrement favorable à la production cinématographique grâce à son climat, sa luminosité, la variété de ses sites, la richesse de son folklore et de ses traditions. Cependant, le démarrage de cette production à l'échelle industrielle n'a pas encore eu lieu malgré l'existence sur le sol national de professionnels et d'équipement nécessaires. En effet toutes les phases de fabrication d'un film de format 35 mm (standard et scope) peuvent être effectuées au Maroc excepté le développement et le tirage des pellicules en couleurs. Quant à la distribution et à la projection des films, elles existent dans notre pays à l'échelle commerciale et se développent régulièrement, surtout dans les grandes villes.
Au lendemain de l'indépendance, la structure cinématographique de notre pays comprenait: EVOLUTION DE LA STRUCTURE CINEMATOGRAPHIQUE
DEPUIS L'INDEPENDANCE
- des entreprises privées, essentiellement étrangères, de distribution de films importés;
- des salles de projection commerciales assurant l'exploitation de ces films;
- une autre entreprise également étrangère, les studios du Souissi, équipés pour la fabrication des films de format 35 mm noir et blanc;
- un établissement public, le Centre Cinématographique Marocain, créé par le dahir du 8 janvier 1944 et "qui a pour objet la production, la distribution et la projection de films cinématographiques ainsi que la constitution d'une cinémathèque";
- une inspection administrative, le service du cinéma, rattachée au ministère de l'Information et assurant le contrôle et la réglementation de la profession;
- un service de caravanes cinématographiques ayant pour objet la diffusion de bandes filmées, dans les contrées dépourvues de salles de projection;
- une commission de contrôle de films également rattachée au ministère de l'Information.
La cinémathèque laissée par le protectorat ne pouvant correspondre aux besoins nouveaux du Maroc indépendant, son renouvellement s'avérait nécessaire ainsi que la réorganisation de toute la structure cinématographique.
C'est ainsi que le Centre Cinématographique Marocain se mit à produire des courts métrages dès l'année 1957 et créa un journal filmé hebdomadaire: les Actualités Marocaines, en 1958.
Il contribua en outre à la formation de jeunes cinéastes marocains en leur accordant des bourses d'études et s'équipa continuellement en matériel de tournage et de reportage.
D'autre part, ayant absorbé graduellement tous les services cinématographiques rattachés au ministère de l'lnformation, le Centre Cinématographique Marocain dispose actuellement d'un champ d'action élargi. En effet, le directeur du Centre Cinématographique Marocain est à la fois:
- chef du service du cinéma;
- directeur des Actualités Marocaines;
- directeur des Caravanes Cinématographiques;
- président de la Commission de contrôle des films.
Or, au lieu de tirer profit de ce cumul de responsabilités pour favoriser le développement de la production et harmoniser l'ensemble des activités cinématographiques, la direction actuelle du Centre Cinématographique Marocain semble au contraire en abuser. Des litiges constants l'opposent à la majorité de ses techniciens dont six démissionnèrent en l'espace de deux ans, un septième vient d'être licencié et deux autres attendent que leur démission soit acceptée. La qualité des Actualités Marocaines est en baisse ainsi que la quantité des courts métrages produits par le Centre Cinématographique Marocain alors qu'une dizaine de cinéastes marocains sont pratiquement réduits au chômage.
PROPOSITIONS REALISABLES A COURT TERME
Le C.C.M. étant jusqu'à présent le seul organisme producteur, i1 est souhaitable d'améliorer quantitativement et qualitativement sa production grâce à une organisation rationnelle, une gestion efficace et une rentabilité croissante. Cela nécessite en premier lieu une direction stable, compétente et responsable. Afin d'augmenter les ressources financières du C.C.M., celle-ci pourrait prendre les mesures suivantes:
1- restauration de la loi d'aide;
2- obligation pour les distributeurs d'assurer la location et la diffusion hebdomadaires des Actualités Marocaines et des courts métrages produits par le C.C.M. dans toutes les salles sans exception;
3- vente à 1'étranger du maximum de nos meilleurs films. Un marché intérieur et extérieur étant créé et le budget du C.C.M. étant suffisamment alimenté. Le développement accéléré d'une production de courts métrages devient possible si deux autres conditions sont réunies:
a) obligation pour les studios du Souissi de perfectionner leur équipement et d'augmenter leur personnel technique;
b) réintégration de tous les techniciens. Ceux-ci désirent travailler selon des normes professionnelles afin d'être productifs et efficaces.
Le C.C.M. n'est pas seulement un organisme productif, il constitue également un moyen d'action direct sur les entreprises commerciales de distribution et d'exploitation. La production de films nationaux de long métrage n'existant pas encore, il serait normal de lui donner naissance en prenant les mesures suivantes: PERSPECTIVES POUVANT ETRE ENVISAGEES A LONG TERME
1- monopole du marché national du court métrage;
2- nationalisation des entreprises étrangères de distribution;
3- promotion d'une production nationale de longs métrages.
Afin de réaliser cette dernière mesure, deux solutions pourraient être envisagées:
a) constitution d'une société nationale mixte de production et de distribution. Celle-ci serait contrôlée par l'Etat qui détiendrait la majorité des actions;
b) transformation du C.C.M. en office national de production et de distribution. Mais cette solution ne rencontrerait pas l'enthousiasme des distributeurs marocains et des producteurs nationaux qui se manifesteraient éventuellement dans le secteur privé.
La limitation de l'importation des films de long métrage s'imposerait au fur et à mesure que la production nationale augmenterait. Et inversement, l'exportation des films nationaux serait conditionnée par l'importation des films étrangers. Il s'agirait alors d'établir un échange équitable, ce qui profiterait sans aucun doute à l'industrie cinématographique, ainsi qu'au développement économique et culturel de notre pays.
Fait à Rabat le 1er juillet 1965.