souffles
numéro 3, troisième trimestre 1966mohammed ben saïd : poème
p. 20
Du pays où les plaines se sont prostituées
où les alphabets se débarrassent de leur sexe avant
même qu'ils naissent
Du pays où l'on n'écrit plus avec l'encre
mais du sang
du sang pour enjoliver les visages et feuilleter la pluie
lors de sa dernière apparition en coquillages
pour boucher les oreilles de clés d'argile
mais du sang qui calme les tempêtes et leur met des
bouteilles de bronze sur les lèvres
Debout
sur leurs lèvres
la misère que nous symbolisons louve
à cause du sang
du tungstène; nous nous inventerons des dents de
chair pâle; nous la couperons de nos fesses et nous irons nous
faire STATUES SUR LES CRETES
Pourquoi
et nous répondrons aux arbres-fantômes
et pourquoi ne serons-nous pas ces arbres-fantômes
aux genoux de sable
aux aisselles forestières
aux traits simiesques
Nous serons prêts
toujours prêts à étrangler à prendre
à devenir des bouledogues de neige de feu éteint
à cadavres d'érable de cigarettes encore éteintes
nous changerons les hommes presque en chauve-souris
nous leur mettrons des divans de châtaignes dans le gosier
et nos cous se couperont à l'embouchure du Mékong
La pâleur de nos crépuscules nous fera dire des
morceaux de papiers, des cornes, des tortues aux carcasses à tiroirs
pneumatiques
De ce pays où les amoureux collectionnent les ongles
pour creuser leurs rétines, jusqu'à l'éternité,
pour en faire des crabes susceptibles de faire le tour du monde
nous excusons les générations passées