Leïla Sebbar. Le Chinois vert d'Afrique, Folies d'encre, Ed. Eden, 2002.

pp. 49

Il court.
L'enfant court toujours. Il sait où il va et les détours qu'il doit faire pour éviter le bloc familial, le cimetière, l'école, le commissariat, le collège, le dispensaire, les bistrots où se retrouvent les flics et les pavillonnaires à chiens, la place caillouteuse des joueurs de boules jeunes et vieux, tous des hommes, des Français qui s'offrent des tournées jusqu'à la nuit, avant la télé. Les voitures s'arrêtent pour le laisser passer, les bus freinent et les voyageurs le regardent. Il ne tourne pas la tête au bruit des moteurs, au crissement des pneus. Il court, souple. Souverain.

pp. 53-54

Il connaissait les sorties de secours des cinémas qui l'intéressaient et il se faufilait parmi les spectateurs qui prenaient, derrière l'écran, les couloirs étroits et les escaliers dérobés jusqu'à une rue mal éclairée, où Momo attendait la fin du film. Un jour, une jeune ouvreuse, à qui on avait dit de surveiller les bandes de voyous qui resquillaient, avait surpris Momo qui rampait sous les premiers sièges pour arriver au cinquième rang. Elle s'était assise à côté de lui, déjà installé, comme si elle était une spectatrice. Elle se pencha vers l'enfant, le regarda dans les yeux :

- Tu as payé ta place?
- Non.
- Je suis l'ouvreuse.
- Bonjour, dit Momo. Moi, on m'appelle Le Chinois et je viens voir Le Chinois. Tu l'as vu? C'est bien?
- Oui je l'ai vu. C'est le Chinois qui gagne.
- C'est lui le plus fort? C'est le plus malin et le meilleur en kung-fu, c'est pour ça qu'il gagne.

A la sortie, Momo chercha l'ouvreuse. Elle terminait son service. Le garçon de la caisse bavardait avec elle. Quelqu'un l'appela de la porte de la salle de projection :

- Mimi, tu m'attends?
- Oui, mais grouille...

Mohamed s'approcha d'elle, Mimi lui dit :

- Toi, je te reconnais. Alors, c'était bien?
- Pas terrible...
- Tu t'y connais, en kung-fu?
- Oui.
- T'es un champion?
- Oui.

Il l'invita à boire une menthe à l'eau ou un Coca-Cola, comme elle voudrait.

Mimi dit au technicien de la rejoindre Au bon coin où elle allait avec Momo. Au milieu de la rue, elle s'arrêta, tendit la main à Mohamed :

- Moi, c'est Mimi...
- Et moi, c'est Momo...

Ils éclatèrent de rire.

Actualisation : juillet 2007