Leïla Sebbar. La Négresse à l'enfant, Syros Alternatives, 1990.


La négresse à l'enfant, pp. 9-10

La petite fille s'est affaissée comme épuisée sur le dos vaste, la joue collée contre la rondeur de l'épaule. "Tu es lourde. Tiens-toi" dit la femme. Les bras nus serrent le cou à l'intérieur du col à rayures rouges et blanches. L'enfant va s'endormir. Elle renifle au creux de l'oreille sous le bonnet de laine que la négresse met pour sortir, toujours le même depuis que Madam le lui a donné. Elle allait le jeter, il n'était pas vieux. Madam l'avait mis deux fois, mais il ne lui plaisait plus et elle parlait de vieilleries lorsqu'elle se débarrassait, dans de grands sacs, des vêtements qu'elle n'aimait plus. Son regard avait arrêté le geste de Madam : "Vous le voulez ? Vraiment ? Il est à vous."

 

J’aime l’outre-mer, p. 63.

Les filles étaient là, les unes avec les Arabes, les autres, plus nombreuses, avec les copains, dans le cercle ; ils les ont regardés jusqu’à ce que l’un des deux tombe face contre terre; l’Arabe s’est relevé plus vite qu’il croyait et c’est lui qui a battu des bras vers le sol, sur le dos ; l’autre lui a sauté dessus, il était maigre mais lourd tout en muscles durs, il a réussi à le faire rouler sur le côté ; la bagarre a duré longtemps, ils avaient le visage en sang ; l’un des Arabes du cercle a sorti un cran d’arrêt de sa poche, il l’a vu ; l’Arabe, le blond, a fait un signe, le complice a rangé le couteau dans la poche de son jean ; ils ont entendu les sirènes, ils ont vu les lumières bleues, ils ne se sont pas lâchés jusqu’à l’arrêt des voitures de police.  Quand les flics sont arrivés, le cercle était compact, mais à l’intérieur ils n’ont vu personne.  Le marin et l’Arabe se sont retrouvés sans en avoir convenu du côté de la rivière ; chacun a laissé l’autre boire, se rincer la bouche et le visage ; dans l’herbe, près de la berge, ils ont continué sans copains, sans filles, sans flics ; à la fin ils ont dit ensemble : “Ça va, on est tous les deux les plus forts”, ils se sont serré la main et ils sont partis vers la ville, lui pour aller au “Café de France”, l’Arabe au “Carrefour”, un bistrot neuf entre les vieux quartiers et les nouvelles HLM…

 

La fille au juke-box, pp. 72-73

La fille, debout contre le juxe-box, les mains à plat sur la vitre, suit le rythme de la chanson, ses cheveux effleurent l’appareil à chacun de ses gestes, elle remue la tête, et bat la mesure avec ses pieds.  On ne voit pas son visage.  Elle a des cheveux noirs, bouclés, longs et brillants retenus sur le côté gauche par une fine pince rouge.  La patronne la regarde. – Elle soigne ses cheveux, elle s’occupe pas du reste, de plus en plus sale, si c’est pas malheureux, son jean, je me demande si elle l’enlève pour dormir et où elle dort ?  Pas chez ses parents.  C’est sûr.  Moi, une fille comme ça, je la garderais pas chez moi même si c’était ma fille, je la collerais dans un foyer, une maison de correction, ça existe plus, c’est dommage.  Je sais pas, je ferais quelque chose, je la laisserais pas à la rue quand même…

ISBN 2-86738-523-7




Lien sur La Negresse à l'enfant

Mustapha Harzoune. "Littérature : les chausse-trapes de l'intégration", Mots pluriels, No 23, mars 2003.


Actualisation : juillet 2007