Brigitte LANE
Romance Languages
Tufts University (USA)

Leïla Sebbar, PARLE MON FILS, PARLE À TA MÈRE : (Stock, 1984) de Leïla SEBBAR -  roman bref, 84 p.; LA CHAMBRE, nouvelle (1992) : récits de l’attente et de la solitude.


Après plusieurs années, un jeune Beur d’environ vingt ans, en jeans sales et blouson de Skaï noir revient à la cité (Bloc B12) dans sa famille après plusieurs absences « presque un fugueur ». Sa mère maghrébine, « une belle géante » lui donne des nouvelles de la famille : le père est en invalidité (elle dit « anvaliditi »). Ce dernier  restera à la maison après son retour de l’hôpital. Samira, la jeune soeur de 16 ans, a fugué, la mère ne sait pas où elle est. « Le père a renié et maudit sa fille ». Tout en ne disant rien, le fils aîné comprend que la mère voudrait qu’il parte à la recherche de sa soeur. Il n’en a pas l’intention. La mère a huit enfants et en secret  pratique la contraception. Elle s’est mariée quand elle avait dix-sept ans ; son premier fils est né neuf mois plus tard.

Avec des gestes et des paroles tendres la mère sert à son fils une tasse de café (attention, pas dans la tasse du père car celle-ci lui est réservée !) ainsi que des biscuits gardés dans une boîte en fer. Il en grignote le dernier.

Le dialogue n’arrive pas à se créer,  le récit restant largement un monologue de la mère jusqu’à ce que le fils lui dise qu’il veut partir aux Etats-Unis.  La mère ignore où se trouve ce pays. Alors le fils le lui montre sur l’atlas familial. Il a aussi apporté à sa mère le Livre des 1001 nuits en français car elle lui racontait, en arabe, ces contes orientaux quand il était petit.  Ce non-dialogue se poursuit jusqu’à ce que le fils reparte, une fois de plus sur sa Mobylette. Reviendra-t-il ?

Les dernières paroles de sa mère : «Va mon fils va...souviens-toi toujours que tu as une âme... » tout en lui glissant en guise de cadeau un petit paquet joint d’ un billet de 100F et une « photo de la belle cousine aux yeux comme la mer... ». Elle « prononce des paroles de  bénédiction en arabe, embrasse son fils sur le front.  Il s’en va. »

            Ce texte semi-réaliste, très riche en détails, offre un tendre portrait de la vie des banlieues dans les années 80 et montre le conflit des générations qui déjà existait entre les jeunes d’origine maghrébine et leurs parents auxquels s’opposaient non seulement la langue mais aussi les ambitions et des valeurs  radicalement différentes. La Marche des Beurs de 1983, qui date donc de l’année précédant la publication du récit, est évoquée ainsi que différents problèmes socio-culturels qui sont des obstacles à l’intégration, telle la question des cimetières musulmans ou celle du port du voile, le racisme, bien sûr, etc.

Tout comme la nouvelle La Chambre (1992), ce roman bref est placé sous le signe de l’attente et de la solitude. Dans Parle mon fils..., la mère attend son mari, attend sa fille et va attendre à nouveau son fils aîné. Dans la nouvelle une vieille femme immigrée qui vit à Marseille dans une chambre aux murs lézardés attend… Qu’attend-elle ? La mort ? Elle avait sept enfants, son mari, un beau matin de mai, l’a laissée seule avec eux. Ceux-ci sont tous partis loin à l’étranger et lui envoient des billets d’avion mais, de toute évidence, elle est lasse et ne veut plus faire de grands voyages.  Soulignons que le texte est un hommage à la ville de Marseille, ville de l’immigration et des croisements par excellence, «villede tous les exils », où ses enfants ont appris à parler et à marcher, sa ville.

Dans la chambre : un vieux poste de radio et une petite étagère sur laquelle sont posés deux rouleaux de papier toilette, Lotus rose (papier hygiénique), des images, qui lui ont plu, découpées dans des journaux, dont certaines avec des palmiers, son arbre favori; un drap fait d’une ancienne nappe usagée qui recouvre les craquelures des murs: un espace de pauvreté et de solitude extrêmes.  En effet, la vieille dame n’a que deux amis : le brodeur, le dernier, et l’ami tailleur ombrageux, sans famille, qui porte encore une calotte.

La pendule ronde s’est arrêtée, il y a déjà des années, à onze heures moins dix,  et la vieille femme – en partie d’origine arménienne - attend qu’il se passe, un de ces jours, à cette heure-là précisément, quelque chose d’inattendu.  Effectivement, réalisme magique oblige, son désir sera un jour concrétisé par l’arrivée, alors qu’elle ne s’y attendait pas, de quelqu’un qui frappe discrètement à sa porte à onze heures moins dix. Qui est-ce ? Au lecteur d’inventer le reste…

            Chez Sebbar, quand il s’agit des années 80, les fils et les filles d’origine immigrée s’en vont (qu’ils soient fugueurs ou non) et, les garçons surtout, partent, parfois très loin, avec des rêves qui ne sont plus ceux de leurs parents. Les mères et les grands-mères maghrébines attendent tandis que les maris maghrébins,  eux, aussi vulnérables qu’ils soient, imposent leur loi. Telle est la réalité de l’époque dans nombre de communautés immigrées en France dont la maghrébine en premier.

Note : La Chambre a été publiée en 1992 dans un recueil de textes et de photos Marseille/Marseilles  en hommage à la ville-refuge de l’immigration,  «ville de tous les exils »,  pour les populations diverses des anciennes colonies françaises.

 

 

Actualisation : juillet 2014