Leïla Sebbar
Journal de mes Algéries en France, Suite 12
(Décembre 2007)


Portrait d'Odette à Tiznit

Je lis les carnets de voyage de Odette du Puigaudeau confiés par Monique Vérité, sa biographe (Odette du Puigaudeau, une Bretonne au désert, préface de Théodore Monod, Payot, 2001. Signalons la réédition par Ibis Press de La grande foire aux dattes, 2008). Monique Vérité a présenté les voyageuses Odette et Marion Sénones dans le numéro 31-32, octobre 2007 de la revue Étoiles d’encre.

Trois petits carnets. Deux carnets, couverture en moleskine noire, 1934, juillet et août-septembre, le premier voyage en Mauritanie ; le troisième, couverture cartonnée gris-bleu, Maroc Oued Draa, décembre 1936 – janvier 1937. Encre noire ou violette. Une écriture agréable à lire, un texte précis, observateur, sans complaisance.

Lors du premier voyage de Atar à Chinguetti, Ouadane pour Abjoujb, Memrhan et Port-Etienne, Odette du Puigaudeau découvre au cours d’étapes difficiles, dangereuses souvent épuisantes un pays qui ne se laisse pas approcher. Elle ne voit que ce qu’on lui laisse voir, qu’il s’agisse des guides, des chefs de tribus ralliées qui la reçoivent, des Européens, des « Français sans bonté ni délicatesse », des officiers qui tiennent quelques bastions, des Chorfas de Chinguetti, ces maîtres marabouts savants en théologie, philosophie et droit, des griots qui chantent les louanges du Prophète… Il lui faut une persévérance à toute épreuve, une sensibilité en éveil jour et nuit pour passer les obstacles et s’arrêter à ce qui lui paraît singulier, propre à la Mauritanie. Il lui faudra plusieurs voyages et un attachement de plus en plus intense aux nomades, à leurs coutumes, à leur mode de vie mis en danger par la pénétration coloniale dont elle met en cause les méfaits dès le premier voyage.

Carnet de voyage au Maroc, 2ème voyage (1936-1938)

 


Extraits 1, 2 et 3 du carnet de  voyage au Maroc d'Odette: l'ecole pour fille de notables musulman

Elle regarde le paysage en artiste « Paysage marin… vert amande, vert de gris, jaune pâle, lignes simples ou onduleuses, couleurs délicates, tristes, horizon immense qui rappellent certaines dunes des côtes bretonnes », et voit dans les maures familiers des visages de prophètes peints par Michel Ange, « Moïse cherchant la terre de Chanaan du haut du Sinaï », « un air de disciple vu par quelque peintre florentin ». Scènes bibliques et tableaux de la Renaissance italienne. Cela ne l’empêche pas de saisir les traces des biches, outardes, femmes, chacals, oiseaux, crabes et scarabées, ni de dénoncer la misère qui oblige les nomades à se mettre au service des chefs de tribu et des voyageurs européens dont elle fait partie, les réduisant au rang des captifs et des esclaves, nombreux dans le pays.

 

Le deuxième voyage, 1936-38, troisième carnet.

Odette du Puigaudeau et Marion Sénones prennent le bateau à Bordeaux après les préparatifs habituels, bagages pour bivouacs et relevés d’inscriptions, photographies, notes et dessins, autorisations diverses et lettres de recommandation…

Casablanca. La misère du Mellah, le quartier juif ; le luxe insolent de la ville moderne européenne ; pauvreté de la médina « Des palais, mais pas d’assistance ni de dispensaire », pas d’école pour les enfants contraints au travail.

Rabat. Une médina moins pauvre ; le tombeau de Lyautey « Petit marabout à toit vert » ; des cigognes dans les remparts ; du thé dans les cafés maures ; la maison chaleureuse d’un ami lettré, Funck-Brentano, du feu dans la cheminée, des livres ; des « Européens vulgaires et bruyants » ; une école pour les filles de notables musulmans (voir les pages en fac-similé) ; les Corans enluminés de la bibliothèque ; la misère des bidonvilles « Nous sommes responsables de ce trouble nous devons y remédier ».

Marrakech. La citadelle crénelée ; réception à la Résidence ; « Maisons de thé » dans les souks avec danseuses juives, prostituées et soldats ; le peintre Majorelle ; les réalisations du capitaine Ollois à Mezgane où Odette se rend en voiture militaire : coopérative pour l’exploitation du poisson, conservation, exportation, farine de poisson… au profit de la population ; centre d’hébergement pour les enfants condamnés par le tribunal du Pacha d’Agadir ; maisons confortables pour les Moghazni et les employés ; prisons propres, eau courante ; jardins ; espaces de jeux, terrains de sport ; école avec instituteurs diplômés : le mari a 40 garçons indigènes, la femme 30 élèves français. Le capitaine Ollois travaille à la mise en valeur pacifique du pays suivant les principes de Lyautey « Artiste, diplomate mais conquérant… » écrit Odette dans son carnet.

Après un voyage en car, arrivée à Tiznit.

Tiznit. Rencontre de musiciennes et danseuses, les « Chirat » on écrirait plutôt « Chikhat », avec le capitaine Géliot. Odette décrit longuement le spectacle (voir les pages en fac-similé).


Photographies de musiciens et musiciennes


Extraits 1et 2 du carnet sur les chikhat (musiciennes)

 

Poursuite du voyage vers Tindouf. Collecte, comme dans le premier voyage, de silex taillés, de débris d’œufs d’autruche, burins, hameçons, haches, inscriptions, empreintes gravées de gazelles, bovidés, éléphants… Critique de l’esprit colonial des touristes « Dès qu’un jeune Français moyen est sur un chameau avec 4 hommes bleus à commander et la Nature autour de lui, il se croit un empereur, un héros, un ascète ».


Odette et Marion en Mauritanie 1938

Odette du Puigaudeau, quelle que soit la situation, prend le temps des notes et des photographies pendant que Marion dessine et prend soin de Odette. L’inconfort du voyage, les déceptions, les petites lâchetés des guides et des aides, des officiers et des Français, tout ce qui les empêche encore de connaître la Mauritanie et les Mauritaniens ne les décourage pas.

Elles reviennent, pour les beautés qu’elles soupçonnent, pour les vérités qu’elles recherchent sans trop d’illusions.

Je les suivrai avec les prochains carnets que Monique Vérité accepte de me confier, un privilège. C’est un plaisir de les lire.


Odette au Sud de la Mauritanie 1934

Consultez d'autres suites sur le site Littera 05 et sur le site Leïla Sebbar

 

Actualisation : février 2008