Leïla Sebbar : Journal de mes Algéries en France
Suite 8
(Décembre 2006)
Pointe de Grave (Gironde) près de Soulac/Mer,
décembre 2006, avec D. Le phare.
Inédit. Du 26 au 30 décembre 2006
Le voyage à Soulac avec D. Blois, la Loire, le Colonial Café. Pierrot le fou à Saint-Benoît-des-Ondes avec Ferdinand et Bruce. La nuit de Jérusalem de Myriam Harry, à la librairie « Pages volantes ». Le phare de la Pointe de Grave.
France-Culture. Jean-Michel Belorgey et Jean Le Brun.
Soulac. Des maisons avec vérandas. Le phare vu de la mer, un marabout dans les dunes. Le marabout vert et blanc de ma sœur Danièle. La stèle de maquisards face à la mer. La stèle du Bataillon de marche des Somalis, 1945.
Les gares. CHEMIN DE FER DE L’ETAT.
L’herbe, près de Cap Ferret, la chapelle algérienne. Arès – Le bar-tabac L’Ancre. Le patron Loulou. Il a connu la Villa algérienne, le parc, les volières, les bassins, les statues des 5 continents. La soupe au cochon.
Irak. La pendaison de Sadam Hussein.
Hourtin dans le médoc. Décembre 2006 avec D.
26 au 30 décembre
Le voyage à Soulac. Saint-Romain de Benet. Hourtin. Arès près de Cap Ferret. L’herbe près de Cap Ferret, « la chapelle algérienne ». Le Médoc. Blanquefort. « La soupe au cochon ». La pendaison de Sadam Hussein.
Je n’ai pas parlé du voyage dans l’est de la France. Jusqu’à la Suisse de Heidi, puis au retour, la maison de Lyautey en Lorraine. Je n’ai pas parlé non plus du petit cimetière de l’Emir Abd-el-Kader, conçu par Rachid Koraïchi, sur la colline du château à Amboise. C’était en juin, en mai-juin 2006, avec D. J’en parlerai.
Si je ne refais pas, l’écrivant, le voyage à Soulac, tout se perdra. Tout. Je veux dire quelques signes au hasard de la route, des villages et des villes, des places et des rues. Une émotion à la fois violente et furtive que je garde à l’image et sur la page écrite en hâte, le carnet noir, les pages à lignes non quadrillées. La patience de D. Il y a heureusement des cafés avec des Points-Presse. Il sera mon informateur quotidien dans la voiture et nous commenterons les faits du jour, comme à un conseil des ministres. C’est un plaisir.
A Blois, le même café face à la Loire, le fleuve de Pierrot et Shérazade, le fleuve que « Pierrot le fou » traverse en voiture dans le film de Jean-Luc Godard. A Saint-Benoît-des-Ondes, dans une maison de Yeza, un été de 1985 ou 1986, il faisait froid, j’ai lu sous la couette la trilogie romanesque de l’écrivain israélien David Shahar, une enfance à Jérusalem sa ville natale dans les années 20/30. J’ai lu, il y a peu, un texte de Myriam Harry (dont j’ai parlé dans un Carnet de lecture) née à Jérusalem, La nuit de Jérusalem, un court récit de 1928 que les libraires de Pages volantes, Lise et Myriam, des prénoms que j’invente pour elles, ont gardé pour moi. Un joli livre illustré (je n’aime pas beaucoup les dessins) qui raconte une nuit de fêtes religieuses chrétienne, juive et musulmane, la même nuit dans une ville aussi cosmopolite que la ville d’Istanbul jusqu’à une certaine époque. Aujourd’hui, comme Alexandrie elle s’est vidée de ses étrangers. La rive Sud de la Méditerranée n’aime plus les étrangers, lesquels d’entre eux lui ont fait mal ?
Patrice Rötig publiera La nuit de Jérusalem à Bleu autour ? Il doit le lire. Il décidera.
On avait une petite télévision Ferdinand et son ami Bruce, dix ans environ, ont regardé, fascinés, Pierrot le fou. Ils n’ont pas bougé ni bavardé pendant une heure et demie. Ce qui n’avait pas été le cas lorsque je les avais emmenés voir, au même âge, Autant en emporte le vent. Ils se sont faufilés sous les sièges jusqu’en haut de la salle. J’ai dû quitter le cinéma. J’ai revu le film à la télévision. J’avais lu le roman à Blida, ce roman qui ne m’a pas quittée des heures durant, sourde aux rappels domestiques ou scolaires, je devais avoir treize ou quatorze ans, ne pouvait pas être ce film-là. Je me suis ennuyée autant que Bruce et Ferdinand, ils avaient raison.
Le café de Blois s’appelle Colonial café. Des hommes et des éléphants quittant les bateaux négriers ont-ils remonté le cours de la Loire, le fleuve le moins navigable des quatre grands fleuves de France ? En effigie dans le café, une belle tête d’éléphant sculptée. A l’étage, un coffre de marine et un casque colonial déplacés là, dans l’ombre.
A la pointe de Grave, en face de Royan où on prend le bac, attendant l’heure du passage dans un café-brasserie en forme de tour de gué, le repas du réveillon figure sur une ardoise à l’entrée : 60 euros, un phare décoré, il ressemble à un minaret dans le crépuscule. Je reviendrai pour lui et je découvrirai un peu plus loin une stèle érigée le 20 juin 2003, pour ceux qui ont quitté le port de Verdon-sur-Mer à bord du Massilia le 21 juin 1940 « pour aller continuer le combat depuis l’Afrique du Nord ».
Le 27 décembre
A France-Culture, j’écoute Jean-Michel Belorgey invité par Jean Le Brun pour son livre Abad (Bleu autour), c’est sa collection de cartes postales coloniales qui illustre en grande partie Femmes d’Afrique du Nord. Un passionné des Sud et des utopies fraternelles. Un érudit aussi, sans pédanterie. On se verra en mars à Saint-Pourçain-sur-Sioule.
Saint-Romain de Benet vers Royan. Décembre 2006, avec D.
A Soulac.
Une longue plage. L’Océan. Le même bruit, tous les jours, j’entends les grondements du boulevard Blanqui dans le 13e arrondissement, légèrement assourdi par les immeubles. A peine quelques bois rejetés par la mer. Ni algues ni verres polis, ni briques en fragments lisses. Je ramasse une capsule, cigogne blanchie sur fond rouge. Les maisons de Soulac ont une allure coloniale, vérandas en bois, petites colonnes et bordures dentelées. Les ruchers, Sapho, Fleurs d’exil, La Medina (chambres à louer) sur fond de mosaïques au front de la maison.
On marche. Personne, ni homme, ni bête. Derrière les dunes le sommet du phare comme un lointain marabout, de ces marabouts des steppes et des déserts musulmans. Ma sœur Danièle a confectionné pour nous des petites Koubbas blanches et vertes, chacune la sienne, pour ma sœur Lysel et pour ma mère, une Koubba yéménite émaillée. Regarder le marabout miniature posé près du portrait de Annemarie Schwarzenbach m’apaise. Cette femme écrivaine voyageuse, tourmentée, morte jeune, me plaît. Son visage grave, ses yeux obliques, sa belle bouche charnue. Outre-tombe, par magie, le saint marabout lui accordera la sérénité. Elle a aimé l’Orient.
A Soulac-sur-Mer, face à la mer, une statue de la liberté de Bartholdi et un Mémorial :
A la mémoire des maquisards
du groupe Jean-Dufour-Medoc
à la mémoire des renforts de la D.F.L.
Bataillon de marche Somalis
du 31/3 au 13/4/45
Suivent des colonnes de noms, dont :
Ahmed ali
Colonna R.
Hassen Ibrahim
Mattei J.
Mohamed Ali
Zimmermann
Tsila Appolinaire
Au bas de la plaque commémorative :
« 11 combattants du B.M. SOMALIS décédèrent de leurs blessures entre le 29/04/45 et le 24/05/1946. »
28 décembre
A Hourtin, je ne sais plus s’il a fallu passer par Hourtin pour aller à Cap Ferret, une jolie gare, est-elle désaffectée ? Je la photographie comme j’ai photographié la gare de Saint Romain de Benet vers Royan, affectée aux compagnons d’Emmaüs, une gare comme je n’en ai jamais vu, ont-elles été détruites, les gares des CHEMINS DE FER DE L’ETAT comme le dit le fronton, hautes lettres de pierre peinte en vert sur fond de mosaïques ? Elisabeth, la fille du chef de gare de Biskra en a peut-être vu de semblables en Algérie, lors de son retour au pays natal, délabrées mais debout, contemporaines de celle de Saint Romain de Benet en Gironde. Je lui demanderai.
L’herbe, près de Cap Ferret. Patrice Rötig m’avait envoyé une photo de la chapelle algérienne pour le Journal de mes Algéries en France ? Je ne sais plus. Je la vois. Au bord du lac, la Villa algérienne au fond du parc n’existe plus. Reste la chapelle, néo-mauresque, flanquée de tourelles, surmontée d’une croix, au-dessus de la porte une inscription en lettres arabes, plus haut GLORIA DEO.
A quelques kilomètres de Cap Ferret, Arès. Au bar-tabac de l’Ancre, le patron, Loulou, collectionne les objets de la limonade qu’il chine dans les brocantes de la région. Au bout du comptoir, une « réclame » « Les dernières cartouches », « Papier à cigarettes ». Le zouave à grandes moustaches et barbe fournie sourit. Costume de zouave, bonnet rouge, l’ancêtre du Zouave ZIG-ZAG qu’on trouve encore dans les tabacs, celui que le chibani harki du camp de Villeneuve-sur-Lot fumait, celui que fume le père au camp forestier dans la nouvelle : Monologue du soldat, le vieil homme, pas si vieux, à bout de mots, à bout de vie « Mon père ne m’a rien raconté. Mon père ne m’a pas parlé » dit le fils qui, engagé dans les forces d’interposition de l’ONU, déserte pour se battre contre les Serbes au côté des Bosniaques. Lorsqu’il revient au camp forestier, son père est assis sur le banc contre la maison, il roule une cigarette. Il regarde à peine la jeune épouse bosniaque de son fils.
Loulou, le patron de l’Ancre raconte qu’il a connu, enfant, la villa algérienne. Superbe. Le maire, « un voyou », l’a vendue à des promoteurs de béton dans les années 60-70. Le propriétaire, Léon Lesca, ingénieur des Travaux Publics a travaillé à l’édification de barrages en Egypte, il aime le style oriental, sa villa est construite en 1865 suivant ses désirs. Coupole, décor et mobilier mauresques.
« Toujours le premier pour le confort, dit Loulou, eau chaude, chauffage central, électricité, la villa la plus moderne de la presqu’île et au-delà… » Un parc avec des volières exotiques, les plantes, les arbres les plus rares, des serres et des bassins. Dans la forêt de mimosas, cinq statues qui représentent les cinq continents. Au milieu, l’Europe, la plus haute, à droite et à gauche, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique, l’Océanie. Les vêtements de pierre et les visages racontent chacun un continent. Les statues ont été vendues et dispersées (information donnée par un employé de la mairie que D. a appelé depuis le comptoir de l’Ancre).
En 1885 (explique le livre consacré au Cap Ferret, je l’emprunte à la petite bibliothèque du salon de l’Ancre), Jules Grévy, le président de la République ordonne l’ouverture de la chapelle, Sainte-Marie-du-Cap, bénie en 1885. Elle sera cédée à l’Archevêché à la mort de Georges Lesca.
Pour prévenir les pillages, la chapelle algérienne est fermée.
29 décembre
A Blanquefort, dans le Médoc, le soldat du monument aux morts est une femme. Pieds-nus, casquée, robe paysanne, elle brandit une épée. Un coq, ailes déployées, crie vers elle. Gravées en rouge sur le socle : 1939-1945
Victimes civiles
François J. déporté politique
Victime de la barbarie nazie
Liger A.
Liger H.
Dans le journal Le Monde.
« La soupe au cochon ». Sur le modèle de la soupe populaire, des restos du cœur, une soupe pour les SDF, qui exclut les sans-abris juifs et musulmans, à l’initiative d’Odile Bonnivard militante des « Identitaires » d’extrême droite. En 2005, le préfet de police de Paris interdit l’opération à la demande du Conseil de Paris. Le 22 décembre 2006, l’arrêté est suspendu. Un épisode de la guerre du cochon en France, j’ai déjà évoqué l’incident de la mosquée de Belfort, dans un précédent journal, on se rappelle ce centre commercial en banlieue où le propriétaire musulman avait décidé de ne pas vendre de la charcuterie. Des protestations de mangeurs de cochon avaient circulé pour que le seul centre commercial des quartiers n’exclue pas les chrétiens obligés de parcourir des kilomètres pour une tranche de jambon de Paris.
30 décembre
Sadam Hussein, après un procès expéditif, un procès incomplet et inéquitable, il n’a pas été jugé pour l’ensemble de ses crimes (il aurait pu aussi rappeler au cours du procès ses alliances avec les Etats-Unis et la France, alliances militaires et politiques contre l’Iran de Khomeiny), vient d’être exécuté. La pendaison. Durant des fêtes musulmanes. Il ne s’agit pas de défendre un assassin de son propre peuple, un despote criminel, mais de souligner la grossièreté analphabète des exécuteurs irako-américains et que la justice ne s’est pas exercée suivant les principes de la démocratie du droit international, au nom desquels les USA sont intervenus en Irak pour y instaurer le chaos qui affaiblit le Moyen-Orient tout en accordant à l’Iran, République islamique chiite, le premier rôle dans la région. L’Iran à qui ont veut interdire une défense nationale nucléaire que le Pakistan (fournisseur de Talibans) et Israël (fondateur du Hamas) possèdent depuis longtemps. Comment croire encore à la défense des libertés et de la démocratie ?
Blois avec D. décembre 2006
LEGENDE DES PHOTOS
Successivement
Pointe de Grave (Gironde) près de Soulac/Mer, décembre 2006, avec D. Le phare.
Le marabout de ma sœur Danièle. Chez moi, janvier 2007.
Hourtin dans le médoc. Décembre 2006 avec D.
Saint-Romain de Benet vers Royan. Décembre 2006, avec D.
Arès près de Cap Ferret, avec D., décembre 2006.
Anne-Marie Schwarzenbach 1932. Le bracelet d’Aflou. Le petit marabout de Danièle.
Hourtin dans le médoc. Décembre 2006 avec D.
L’herbe près de Cap Ferret. La chapelle algérienne, décembre 2006.
L’herbe près de Cap Ferret, décembre 2006. La chapelle algérienne.
Blois avec D. décembre 2006
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