Journal d’une femme à sa fenêtre
(suite 19)
Mai, juin 2013
Une rue au nom de Guy Cabort-Masson à Saint-Joseph en Martinique. La Douce Mère de l’Ashram à Pondichéry. Les « petites écolières » de Georges Maillet dans le djebel Amour. Musée de la Marine. Noirmoutier.
4 mai
Une rue Guy Cabort-Masson à Saint-Joseph, Martinique. Le compagnon martiniquais de ma sœur Danièle a reçu cet honneur de la ville de Saint-Joseph, sa ville natale. Danièle l’a rencontré en Algérie en 1965. Officier de Saint-Cyr, il a été envoyé en Algérie pour faire la guerre. Il déserte. Un acte de rébellion et de prise de conscience. Il risque 20 ans de réclusion. Amnistié, il revient à la Martinique où il travaille à la reconnaissance et à la conscience d’une identité martiniquaise. Ténacité, conviction. Il réhabilite la langue créole, il mène un travail de sociologue et d’historien de la Martinique pour que ses compatriotes et lui-même vivent dans la dignité et l’indépendance d’esprit.
Écrivain, il a publié plusieurs livres qui font date (voir le site Guy Cabort-Masson). Danièle a été sa compagne de 1968 à 2002, à sa mort.
Ses filles Danièle et Thimotée étaient présentes aux côtés de ma sœur Danièle Sebbar, et des amis et amies de Guy.
Je l’ai connu et j’ai aimé sa force de conviction, son esprit critique, la finesse de ses analyses, son humour, sa légèreté et sa profondeur.
Avec la disparition de Guy, la Martinique a perdu un penseur politique en lutte. Un penseur qui a su transmettre avec tant de grâce et de gravité.
7 mai
Au Sélect, la patronne ronde et agile vient vers moi, avec une nappe en papier : « Tenez, un set. Je sais que vous en avez besoin. Je ne voudrais pas vous enlever l’inspiration. »
Je prends le set et j’écris l’histoire de Douce Mère de l’Ashram de Pondichéry. Fatiha Toumi m’a rapporté un livre pour enfants « Une drôle de petite fille » qui raconte sa vie (1978). Ce que je retiens de ce récit : que Douce Mère est née en France en 1 878 ou 1880, d’une mère juive d’Égypte, élevée dans une famille de banquiers et d’un père turc musulman banquier. Son frère Mattéo sera gouverneur colonial en Afrique. Sa famille fréquente la célèbre famille Camondo, des Juifs turcs, banquiers et esthètes qui vivent à Paris.
On l’appelle Mizza. Elle lit beaucoup. Elle assiste aux leçons de mathématiques de son frère (les filles sont interdites de sciences), elle brode et suit des cours de peinture d’un peintre qu’elle épousera.
En Algérie, elle rencontre un occultiste à Tlemcen, propriétaire d’un domaine agricole (peut-être à Hennaya le village prospère de cette plaine fertile ? C’est moi qui ajoute). Après deux mois à Tlemcen chez le médium, Mizza revient à Paris. Elle a déjà découvert et pratiqué le yoga.
En 1914 elle rencontre Sri Aurobindo à Pondichéry dont elle traduit les livres en français. Retour en France. Guerre 14/18. Mizza passe 4 ans au Japon. Elle apprend la calligraphie, écrit des articles en anglais, rencontre Rabindranath Tagore.
En 1920 elle est à Pondichéry où elle devient Ma Mizza, Douce Mère. Elle enseigne que le yoga permet de retrouver son origine et de s’unir au divin, but de toute création. Il n’y a pas de Dieu unique mais partout du divin.
Douce Mère a-t-elle fait école ?
Fatiha Toumi ne m’a pas dit si elle fait l’objet d’un culte.
Nuit du 7 au 8 mai
Une demi-tête de porc a été déposée devant la mosquée de Chenôve, près de Dijon.
12 mai
Manifestation. Journée de l’infirmière à Bastille « Ni bonnes, ni connes, ni pigeonnes ». Pénurie d’infirmières en France. Marisol Touraine, ministre de la Santé devrait prendre des mesures contre ce déficit d’infirmières et de médecins. Pourquoi les jeunes médecins (les études en France sont pratiquement gratuites durant des années) ne donneraient pas deux à trois de leur vie de médecins dans les zones rurales abandonnées, à l’issue de leurs études. Le ministre pourrait mettre en place ce système, ce ne serait que justice.
24-25 mai
À La Courneuve, des tombes sont pillées, les bronzes arrachés. Marteaux et burins sont jetés dans les bosquets…
30 mai
Je reçois des photos de Georges Maillet, en poste en 1961 à Aïn-Sidi-Ali dans le Djebel Amour, en Algérie, comme Jean-Claude Gueneau (Aflou, djebel Amour, avec Leïla Sebbar et Nora Aceval, éd. Bleu autour, 2010), il a été instituteur. On voit ses « petites écolières » comme les appelait Jean-Claude que j’ai rencontré avec sa femme Annick à Dijon, en 2005. J’espère rencontrer Georges Maillet à Montluçon au cours du salon du livre les 5 et 6 octobre 2013. Il habite la région.
Aïn-Sidi-Ali (Algérie). Devant l’école, janvier 1961 (coll. Georges Maillet)
Aïn-Sidi-Ali (Algérie). Les écolières, janvier 1961 (coll. Georges Maillet)
Aïn-Sidi-Ali (Algérie). Les écolières, janvier 1961 (coll. Georges Maillet).
Aïn-Sidi-Ali (Algérie). Les écolières à l’oued, février 1961 (coll. Georges Maillet)
23 juin
Avec ma sœur Lysel, je vais au musée de la Marine. Après la belle exposition sur les phares, le peintre breton Mathurin Meheut (1882-1958). Les femmes cueillant le sel à Guérande, ressemblent à des nonnes ou à des femmes musulmanes envoilées : longues robes bleu sombre, pièce de linge blanc autour du visage et de la tête contre la réverbération du soleil. De grands filets rouges.
25-26 juin
Avec D. à Noirmoutier.
Dans les marais salants, une cigogne. Au cimetière, un carré militaire. Des tombes de soldats anglais tombés en juin 1940. Royal Air Force, Royal Tank Regt, Royal Army Service Corps.
Cimetière de Noirmoutier (juin 2013)
27 juin
Une équipe de cinéma s’agite sur la plage. Tournage du Petit Nicolas. On attend Bernadette Lafont.
À la Guérinière, le Musée d’Arts et Traditions populaires. L’écrivain Marc Elder (1884-1933) a obtenu le prix Goncourt en 1913 pour son roman Le peuple de la mer. Je le lirai. J’ai aimé les romans de la mer de Pierre Loti qui revient en grâce aujourd’hui.
Des scènes de la vie quotidienne reconstituées comme dans le Musée des Arts et Traditions Populaires de Paris transféré, il y a quelques années, à Marseille. Des planches de costumes féminins comme ceux de nos poupées de carton, on les découpait pour que les modèles tiennent debout. Un travail de patience qui nous plaisait. Je retrouve dans ce petit musée insulaire l’émotion de l’enfance française en Algérie.
Noirmoutier, 27 juin 2013. Musée d’Arts et Traditions Populaires de la Guérinière
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